Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/150

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honte de le dire. On leur apprendra que ce que l’on tolère chez l’enfant (Démocrite) ne peut se pardonner chez l’homme fait. Ils finiront honteusement, mais chacun d’eux saura s’esquiver et faire l’ignorant. Nous aurons à reparler de cette réduction fausse des forces naturelles les unes aux autres ; mais pour le moment, nous nous en tiendrons là. Si la loi du matérialisme était la vraie loi, tout serait éclairci, tout serait expliqué ; tout se ramènerait au calcul, qui serait le dieu suprême, dans le temple de la Vérité, auquel nous conduirait heureusement le principe de raison. Mais tout le contenu de la représentation aurait disparu, il n’en resterait plus que la forme. Le pourquoi du phénomène serait ramené au comment ; et comme cela serait en même temps le connaissable a priori, ce serait par conséquent quelque chose de tout à fait dépendant du sujet, qui n’existerait que pour lui, un pur fantôme, une représentation et une forme de la représentation. — Quant à la chose en soi, il ne saurait en être question. — S’il en était ainsi, le monde se déduirait tout entier du sujet, et ce que Fichte se donnait l’air d’avoir effectué à force de hâbleries serait un fait accompli. — Mais il n’en est pas ainsi : ce sont de pures fantaisies, des sophismes, des systèmes en l’air qu’on a bâtis avec cette méthode ; ce n’est pas une science. Toutefois un véritable progrès a été accompli, chaque fois qu’on a tenté de ramener les phénomènes multiples du monde à une loi unique ; on a déduit l’une de l’autre des forces ou des qualités qui passaient auparavant pour absolument différentes (par exemple le magnétisme et l’électricité), et ainsi l’on en a diminué le nombre.

L’étiologie sera parvenue à son but quand elle aura reconnu comme telles et déterminé toutes les forces primitives de la nature et quand, — en se fondant sur le principe de causalité, — elle aura solidement établi les lois qui président à la production des phénomènes dans le temps et dans l’espace et qui en déterminent l’ordre de dépendance. Mais il restera toujours des forces primitives, il y aura toujours un résidu irréductible, un contenu de la représentation, qui ne pourra se ramener à sa forme et qu’on ne pourra expliquer conformément au principe de raison, en le déduisant d’autre chose. — Car il y a dans tous les objets de la nature un élément inexplicable, dont il est inutile de chercher la cause : c’est le mode spécifique de leur activité, c’est-à-dire le mode de leur existence, leur essence même. Sans doute toute action particulière de l’objet suppose un principe dont il résulte qu’elle devait se produire à ce point de l’espace et du temps ; mais on n’en trouvera jamais pour expliquer cette action elle-même en général, ou en particulier. Quand l’objet serait dépourvu de toute autre propriété, quand ce serait un grain de poussière, il manifesterait encore, par sa pesanteur et son impénétrabilité, ce quelque chose d’inex-