Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/238

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affranchi de la subjectivité et des désirs impurs. Il faut donc toujours éviter le joli dans l’art.

Il y a aussi un joli négatif, qui est encore plus inadmissible que le joli positif dont nous venons de parler : il consiste dans l’ignoble. De même que le joli proprement dit, il stimule la volonté du spectateur et il supprime par le fait la contemplation purement esthétique. Mais c’est une aversion et une répulsion violente que nous éprouvons alors : le joli, ainsi entendu, excite la volonté, en lui présentant des objets qui lui font horreur. Aussi a-t-on depuis longtemps reconnu que l’ignoble n’est point supportable dans l’art, bien que le laid lui-même, du moment qu’il ne tombe point dans l’ignoble, puisse y trouver sa place légitime ; c’est d’ailleurs ce que nous allons voir plus bas.


§ 41.


La marche de notre étude nous a nécessairement induits a intercaler ici l’analyse du sublime, alors que l’analyse du beau n’était achevée qu’à moitié, c’est-à-dire n’était faite qu’au point de vue subjectif. C’est en effet une simple modification de ce point de vue, qui distingue le sublime du beau. L’état de connaissance pure et exempte de volonté, que toute contemplation esthétique suppose et exige, peut-il, grâce à l’objet qui nous sollicite et nous attire, se produire spontanément, sans résistance, par le simple évanouissement de la volonté ? Cet état, au contraire, doit-il être conquis par un libre et conscient effort pour nous élever au-dessus de la volonté, au-dessus des rapports défavorables et hostiles qui relient l’objet contemplé à la volonté et qui, du moment qu’on s’en préoccupe, mettent fin à la contemplation esthétique ? — C’est sur cette question que se fonde la distinction entre le sublime et le beau. Dans l’objet ils ne se distinguent point l’un de l’autre : car, dans le premier cas comme dans le second, l’objet de la contemplation esthétique n’est point la chose particulière, mais l’Idée qui tend à se manifester en elle, c’est-à-dire l’objectité adéquate de la volonté à un degré déterminé : son corrélatif nécessaire, exempt comme elle du principe de raison, c’est le sujet connaissant pur ; de même que le corrélatif de la chose particulière est l’individu connaissant, soumis comme elle au principe de raison.

Dire qu’une chose est belle, c’est exprimer qu’elle est l’objet de notre contemplation esthétique ; ce qui implique, première-