Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/264

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de la signification réelle : ce que la pensée ajoute au tableau prend trop d’importance et nuit à ce que l’on perçoit par la vue. Même au théâtre, il ne convient pas que l’action principale se passe, comme dans la tragédie française, derrière la scène ; évidemment et à plus forte raison, c’est un défaut bien plus grave encore dans la peinture. Comment l’effet d’un sujet historique peut-il être franchement médiocre ? Il faut pour cela que, par la nature même du sujet, le peintre se trouve renfermé dans un cercle déterminé par des raisons étrangères à l’art, et que ce cercle soit pauvre en objets pittoresques ou intéressants ; c’est ce qui arrive par exemple à l’artiste qui se renferme dans l’histoire d’un petit peuple de rien du tout, isolé, bizarre, gouverné sacerdotalement, c’est-à-dire par la folie, parfaitement méprisé d’ailleurs de toutes les grandes nations de l’Orient et de l’Occident, ses contemporaines, je veux parler du peuple juif.

Puisqu’entre nous et les anciens l’invasion des barbares a mis une démarcation semblable à celle que les dernières révolutions hydrographiques ont mise entre la période géologique actuelle et celle dont les organismes ne sont plus pour nous que des fossiles, il est à déplorer que le peuple dont la culture devait servir de base générale à la nôtre ait été justement le peuple juif et non le peuple hindou, le peuple grec, tout au moins le peuple romain. Mais ce sont surtout les grands peintres de l’Italie, au quinzième et au seizième siècle, qui ont pâti de cette mauvaise étoile : dans le cercle étroit où ils étaient arbitrairement renfermés pour le choix des sujets, ils ont été obligés de s’arrêter à toute espèce d’événements insignifiants : en effet, pour la partie historique, le Nouveau Testament forme une matière encore plus ingrate que l’Ancien ; l’histoire des martyrs et des Pères, qui y fait suite, est un sujet singulièrement aride. Malgré tout, il est nécessaire de faire une distinction entre les tableaux qui traitent de la partie historique ou mythologique du judaïsme ou du christianisme et ceux qui révèlent à notre intuition l’esprit original, c’est-à-dire la morale du christianisme, sous la forme de personnages imbus de cet esprit. Ces derniers sont en réalité les plus hautes et les plus admirables créations de la peinture ; elles n’ont été réalisées que par les plus grands maîtres de cet art, particulièrement par Raphaël et par le Corrège, surtout par ce dernier dans ses premières œuvres. Une telle peinture ne peut vraiment point rentrer dans la peinture d’histoire : car elle ne représente le plus souvent aucun événement, aucune action ; ce ne sont la plupart du temps que de simples groupes où entrent les Saints et le Sauveur lui-même, celui-ci souvent encore dans l’enfance, accompagné de sa mère et des anges. Dans leurs physionomies et surtout dans leur regard, nous voyons l’expression