Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/265

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et le reflet de la connaissance la plus parfaite, je veux dire de celle qui ne s’applique point aux choses particulières, mais qui conçoit d’une manière parfaite les Idées, c’est-à-dire toute l’essence du monde et de la vie ; cette connaissance réagit aussi sur leur volonté ; mais, à la différence de la connaissance vulgaire, bien loin de présenter des motifs à cette même volonté, elle répand sur le vouloir tout entier sa vertu apaisante, le quiétif ; de là vient cette résignation parfaite, qui est à la fois l’esprit intime du christianisme et de la sagesse hindoue ; de là procèdent le renoncement à tout désir, la conversion, la suppression de la volonté qui entraîne dans le même anéantissement le monde tout entier ; de là résulte, en un mot, le salut. Voilà les signes éternellement admirables par lesquels les maîtres de l’art ont exprimé dans leurs œuvres la suprême sagesse. C’est ici le dernier sommet de l’art : après avoir suivi la volonté dans son objectité adéquate, dans les Idées ; après avoir parcouru successivement tous les degrés où son être se développe, les degrés inférieurs, où elle obéit aux causes, ceux où elle cède aux excitations, ceux-où elle est si diversement agitée par les motifs, l’art, pour terminer, nous la montre qui se supprime elle-même librement, grâce à l’immense apaisement que lui procure la connaissance parfaite de son être[1].


§ 49.


Le principe qui fait le fond de tout ce que nous avons dit jusqu’ici sur l’art, c’est que l’objet de l’art, l’objet que l’artiste s’efforce de représenter, l’objet dont la connaissance doit précéder et engendrer l’œuvre, comme le germe précède et engendre la plante, cet objet est une Idée, au sens platonicien du mot, et n’est point autre chose ; ce n’est point la chose particulière, car ce n’est point l’objet de notre conception vulgaire ; ce n’est point non plus le concept, car ce n’est point l’objet de l’entendement, ni de la science. Sans doute l’Idée et le concept ont quelque chose de commun, en ce qu’ils sont tous deux des unités représentant une pluralité de choses réelles ; malgré tout, il y a entre eux une grande différence ; et c’est cette différence qui explique d’une manière suffisamment claire et lumineuse ce que j’ai dit du concept dans le premier livre et des

  1. Ce passage ne peut être compris, si l’on ne connaît parfaitement le livre suivant.