Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/270

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simplement de suggérer à l’esprit une conception tout étrangère à l’art, un concept abstrait. Les allégories, dans l’art plastique, ne sont par suite que des hiéroglyphes ; la valeur artistique qu’elles peuvent avoir d’ailleurs comme représentations intuitives, ne leur appartient pas à titre d’allégories, mais à des titres tout différents. La Nuit du Corrège, le Génie de la gloire d’Annibal Carrache, les Heures du Poussin, voilà sans doute de très belles toiles ; ce sont en outre des allégories ; mais il n’y a aucun rapport entre ces deux faits. Comme allégories, elles ne valent pas une inscription. Ceci nous ramène à la distinction déjà faite entre la signification réelle et la signification nominale d’un tableau. La signification nominale est ici l’allégorie considérée comme telle, par exemple, le génie de la gloire ; la signification réelle, c’est ce qui est effectivement représenté : dans notre tableau, c’est un beau jeune homme ailé, autour duquel vole un essaim de beaux éphèbes : ceci exprime une Idée. Mais cette signification réelle ne produit de l’effet que si nous faisons abstraction de la signification nominale et allégorique : si l’on songe à cette dernière, l’on abandonne la contemplation ; ce n’est plus qu’un concept abstrait qui occupe l’esprit : or tout passage de l’Idée au simple concept ne peut être qu’une chute. Souvent même cette signification nominale, cette intention allégorique fait du tort à la signification réelle, à la vérité concrète : par exemple, dans la Nuit du Corrège, l’éclairage surnaturel, malgré la beauté de l’exécution, n’en demeure pas moins une pure exigence du sens allégorique, une absurdité au point de vue physique. Si donc un tableau allégorique se trouve avoir par surcroît une valeur artistique, cette valeur n’est en aucune façon solidaire ni dépendante de son intention allégorique ; une pareille œuvre sert, en même temps, à deux fins, l’expression d’un concept et celle d’une Idée ; seule, l’expression d’une Idée peut être le but de l’art ; l’expression d’un concept est une fin d’un tout autre ordre ; c’est un amusement agréable, c’est une image destinée à remplir, comme font les hiéroglyphes, l’office d’une inscription ; c’est en résumé une invention faite à plaisir pour ceux auxquels la nature véritable de l’art ne se révélera jamais. Il en est de cela comme d’un objet d’art qui est en même temps un objet utile et qui, par là même, sert à deux fins, par exemple une statue qui est en même temps un candélabre ou une cariatide, un bas-relief qui sert en même temps à Achille de bouclier. Les vrais amis de l’art n’estimeront ni l’un ni l’autre genre. Sans doute un tableau allégorique peut, par sa propre signification allégorique, produire une vive impression sur l’âme ; mais une simple inscription, dans des circonstances analogues, produirait le même effet. Supposons par exemple un homme possédé d’un solide et persistant désir d’arriver à la re-