Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/321

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Le présent ouvrage n’étant, je l’ai déjà dit, que l’épanouissement d’une seule pensée, toutes ses parties ont entre elles la plus intime liaison ; ce n’est pas seulement un rapport nécessaire de chacune avec celle qui la précède immédiatement, et le lecteur n’est pas supposé ici avoir cette dernière seulement présente à la mémoire, comme il arrive dans les autres philosophies, composées qu’elles sont d’une série de conséquences. Ici, chaque partie, dans l’œuvre totale, tient à chaque autre et la suppose : aussi le lecteur doit-il avoir devant l’esprit non plus ce qui précède immédiatement, sans plus, mais tout passage antérieur, quelle que soit la distance intermédiaire, et cela de façon à le rattacher à l’idée du moment. Platon imposait la même exigence à qui voulait le suivre à travers les tours et retours de ses dialogues, à travers ces longs épisodes dont il faut attendre la fin pour voir revenir l’idée maîtresse, plus lumineuse, il est vrai, par l’effet même de cette éclipse. Ici, la même condition est indispensable : car si la pensée s’y divise en études diverses, — et il le fallait bien pour la rendre communicable, — toutefois ce n’est pas là pour elle un état naturel, mais bien un état tout artificiel. — Pour rendre plus aisée la tâche et de l’auteur et du lecteur, il était bon de diviser la pensée, de déterminer quatre points de vue, quatre livres, et de réunir avec le dernier soin les idées voisines et homogènes entre elles ; mais quant à un développement rectiligne, tel que serait une exposition historique, le sujet ne le permettait point ; il y fallait un procédé d’exposition plus compliqué : d’où la nécessité de revenir sur le même livre à plusieurs fois ; c’est le seul moyen de saisir la dépendance de chaque partie à l’égard des autres, d’éclairer celles-ci par celles-là, si bien que toutes deviennent lumineuses[1].


§ 55


La volonté, en elle-même, est libre : c’est ce qui suit d’abord de sa nature, si, comme nous le prétendons, elle est la chose en soi, le fond de tout phénomène. Le phénomène est, au contraire, nous le savons, entièrement soumis au principe de raison suffisante, aux quatre formes de ce principe ; et comme, nous le savons encore, est nécessaire tout ce qui découle d’un principe donné, ces deux notions se convertissant l’une dans l’autre, dès lors tout ce

  1. Sur ce point, voir les chapitres XLI-XLIV des Suppléments.