Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/322

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qui tient au phénomène, tout ce qui est objet de connaissance pour l’individu, est, d’une part, principe, et, de l’autre, conséquence, et, en cette dernière qualité, étant déterminé nécessairement, ne peut être à aucun égard autre qu’il n’est. Tout ce qui compose la nature, tous les phénomènes qui en font partie, sont par suite soumis à une nécessité absolue, et cette nécessité, on en peut découvrir la marque dans chaque partie du monde, dans chaque phénomène, dans chaque accident : car toujours il y a un principe, qu’on pourrait découvrir, et d’où la chose découlerait comme une conséquence. C’est une loi sans exception, une application immédiate du principe de raison suffisante, qui est universel. Mais d’un autre côté, ce même monde, à notre sens, considéré dans tous ses phénomènes, est une manifestation de la volonté : or celle-ci n’est elle-même ni phénomène, ni représentation, ni objet, elle est la chose en soi, et par suite elle échappe au principe de raison suffisante, cette loi formelle de tout ce qui est objet ; pour elle il n’est pas de principe d’où elle puisse se déduire et qui la détermine ; pour elle pas de nécessité : elle est libre. Telle est la notion de liberté, notion essentiellement négative, réduite qu’elle est à être la négation de la nécessité, la négation du lien de conséquence à principe, tel que l’impose le principe de raison suffisante. — Ici nous découvrons, et comme en pleine lumière, le lieu où se réconcilient les deux grands adversaires, où s’unissent la liberté et la nécessité, union dont on a tant parlé de notre temps, et jamais toutefois, autant que je puis savoir, d’une façon claire et précise. Toute chose est, d’une part, phénomène, objet, et, en cette qualité, elle est nécessitée, de l’autre, en soi, elle est la volonté, et, comme telle, libre de toute éternité. Le phénomène, l’objet est déterminé, fixé immuablement à sa place dans la chaîne des causes et des effets, et cette chaîne n’est pas de celles qui se brisent. Mais l’existence même de cet objet, prise d’ensemble, et sa façon d’être, autrement dit l’Idée qui se révèle en lui, son caractère enfin, est la manifestation directe de la volonté. En vertu de la liberté, qui est le propre de la volonté, l’objet aurait pu ne pas exister ou bien être, dès l’origine et dans son essence même, tout différent ; mais alors aussi la chaîne entière dont il est un anneau, et qui est elle-même la forme visible de cette volonté, devrait être toute différente ; de plus, du moment qu’il est réel, il est pris dans la série des causes et des effets, il s’y trouve déterminé nécessairement, et ne peut plus devenir un autre, c’est-à-dire changer, ni sortir de sa série, c’est-à-dire disparaître. Maintenant, l’homme est, comme tout autre être de la nature, une manifestation de la volonté : on peut donc lui appliquer tout ce qui précède. Toute chose, dans le monde, a ses qualités et ses forces, qui à chaque sollicitation d’une espèce déterminée