Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/387

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de la loi, afin de détourner, les autres du même crime, à l’avenir » ). Quand un prince est tenté de faire grâce à un criminel justement puni, quelle objection lui fait son ministre ? Que le même crime ne tardera pas à se reproduire. — C’est le souci de l’avenir qui distingue le châtiment de la vengeance ; et le châtiment ne peut porter cette marque distinctive que s’il est exigé en vertu d’une loi, car alors il prend le caractère de l’inévitable, il apparaît comme inséparable de tous les cas semblables à venir, il confère ainsi à la loi un pouvoir terrifiant : et celle-ci atteint son but. — Un kantien ne manquerait pas d’objecter qu’à ce compte le coupable puni est traité « comme un simple moyen ». Mais cette proposition, sans cesse répétée par les kantiens, « qu’on doit traiter l’homme toujours comme fin en soi, jamais comme moyen, » a beau sonner bien à l’oreille, elle a beau plaire par là à ceux qui aiment les formules afin de se dispenser d’avoir à plus réfléchir, pour peu qu’on l’expose à la lumière on voit qu’elle est tout simplement, une affirmation très vague, très indéterminée, n’aboutissant que par un long détour à dire ce qu’elle veut dire ; dès qu’on veut l’appliquer, il lui faut pour chaque cas une explication, des additions et des modifications spéciales ; et dans sa forme générale, elle est fort insuffisante, assez vide de sens, et par-dessus le marché hypothétique. En tout cas, quand il n’y aurait que le meurtrier tombé sous le coup de la peine de mort, voilà bien un individu qu’on doit traiter comme simple moyens et cela en toute justice. En effet, il compromet la sécurité publique, qui est le but suprême de l’État ; si la loi restait inexécutée à son égard, cette sécurité serait même détruite : lui, sa vie, sa personne, doit donc servir de moyen pour l’accomplissement de la loi et le rétablissement de la sécurité publique ; et il est réduit à ce rôle le plus justement du monde, pour l’exécution du contrat social, qu’il a consenti puisqu’il était citoyen, et par lequel, afin d’obtenir sécurité en faveur de sa vie, de sa liberté, de ses biens, il a donné en gage, pour la sécurité des autres, ses biens, sa liberté et sa vie. Aujourd’hui le gage est perdu, il faut s’exécuter.

La théorie du châtiment, telle qu’on vient de la lire, telle qu’elle apparaît dès le premier regard à la saine raison, n’est peut-être, en ce qu’elle a de capital, rien moins qu’une découverte ; elle a été seulement comme étouffée par de récentes erreurs, et il était bon de la remettre en lumière. Pour l’essentiel, elle se trouve déjà enfermée dans ce que Puffendorf dit sur le même sujet (De officio hominis et civis, liv. II, chap. xiii). Hobbes est dans des idées toutes pareilles (Leviathan, chap. XV et XXVIII). De nos jours, Feuerbach a défendu cette thèse avec éclat. Il y a plus : déjà elle se rencontre chez les philosophes de l’antiquité. Platon l’expose clairement dans le