Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/388

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Protagoras (éd. des Deux-Ponts, p. 114), dans le Gorgias (p. 168), enfin dans le XIe livre des Lois (p. 165). Sénèque formule en deux mots la pensée de Platon et la théorie de tous les châtiments, en disant : Nemo prudens punit, quia peccatum est ; sed ne peccetur ( « Quand on est sage, on ne punit pas parce qu’une faute a été commise, mais pour qu’il n’en soit plus commis » ). [De ira., I, 16.]

Voici donc l’État, tel que nous avons appris à le connaître : l’État est un moyen dont se sert l’égoïsme éclairé par la raison, pour détourner les effets funestes qu’il produit et qui se retourneraient contre lui-même ; dans l’État, chacun poursuit le bien de tous, parce que chacun sait que son bien propre est enveloppé dans celui-là. Si l’État pouvait atteindre parfaitement son but, alors, disposant des forces humaines, réunies sous sa loi, il saurait s’en servir pour tourner de plus en plus au service de l’homme le reste de la nature et ainsi, expulsant du monde le mal sous toutes ses formes, il arriverait à nous faire un pays de cocagne, ou quelque chose d’approchant. Seulement, d’une part, l’État est toujours resté bien loin de ce but ; de plus, quand il l’atteindrait, on verrait subsister encore une multitude innombrable de maux, inséparables de la vie ; enfin, ces maux viendraient à disparaître, que l’un d’entre eux demeurerait encore : c’est l’ennui, qui prendrait bien vite la place laissée vide par les autres ; si bien que la douleur ne perdrait aucune de ses positions. Ce n’est pas tout : la discorde entre les individus ne saurait être entièrement dissipée par l’État ; enlevez-lui ses principaux champs d’action, elle se rattrapera sur des querelles de détail. Bien plus, chassez-la du sein de l’État, elle se rejettera sur le dehors : il n’y aura plus de conflits individuels, le gouvernement les ayant bannis ; mais les conflits reviendront du dehors, sous forme de guerres entre peuples ; et la discorde exigera en gros et en un seul paiement, comme une dette accumulée, la dîme sanglante qu’on croyait lui avoir dérobée en détail par un sage gouvernement. Et puis, enfin, mettons que tous ces maux, grâce à une sagesse qui serait l’expérience accumulée de cent générations, fussent vaincus et écartés, alors, comme dernier résultat, on aurait un excès de population encombrant toute la planète, et les maux effroyables qui naîtraient de là, c’est à peine si une imagination audacieuse arriverait à les concevoir.