Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 1, 1912.djvu/44

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ment à titre de connaissances : c’est en ce sens que j’appelle le corps perçu directement un objet immédiat. Toutefois il ne faut pas prendre ici le terme d’objet dans son acception stricte ; car cette connaissance directe du corps animal, antérieure à l’exercice de l’entendement, étant une pure sensation, ne permet pas encore de penser comme objet le corps lui-même, mais uniquement les corps agissant sur lui ; en effet, toute notion d’un objet proprement dit, c’est-à-dire d’une représentation perceptible dans l’espace, n’existe que par et pour l’entendement : loin donc de le précéder, elle en dérive. Ainsi, le corps, en tant qu’objet proprement dit, c’est-à-dire comme représentation intuitive dans l’espace, n’est connu, à la manière de tout autre objet, qu’indirectement, et par l’application spéciale du principe de causalité à l’action mutuelle des diverses parties de l’organisme : par exemple, lorsque l’œil voit le corps ou que la main le touche. La forme de notre propre corps ne nous est donc pas révélée par la sensibilité générale ; ce n’est que par le fait de la connaissance et par la représentation, c’est-à-dire dans le cerveau, que le corps s’apparaît à lui-même comme quelque chose d’étendu, d’articulé, d’organisé : c’est peu à peu que l’aveugle-né acquiert cette représentation, grâce aux données du toucher. Celui qui n’aurait pas de mains ne connaîtrait jamais la forme de son corps ; tout au plus parviendrait-il à la déduire et à la construire lentement par suite de l’action des autres corps sur le sien. C’est avec toutes ces restrictions que nous nommons le corps un objet immédiat.

D’ailleurs, il résulte des considérations précédentes que les corps de tous les animaux sont aussi des objets immédiats ; ils servent de point de départ à l’intuition du monde par le sujet, qui connaît tout, et pour cette raison même n’est connu de rien. Par suite, connaître et se mouvoir en vertu de motifs empruntés à la connaissance, est le caractère essentiel de l’animalité, de même que se mouvoir par suite de certaines excitations est le propre de la plante ; les corps inorganiques n’ont d’autre mouvement que celui qu’ils reçoivent des causes proprement dites, le mot cause étant pris dans son sens le plus étroit. Tout ceci a été exposé en détail dans ma Dissertation sur le principe de raison, 2e édit, § 20, dans l’Éthique 1re  dissertation, III, et dans la Vue et les Couleurs, § 1. Je renvoie le lecteur à ces ouvrages.

Il résulte de tout ce qui vient d’être dit que tous les animaux, même les plus imparfaits, possèdent l’entendement, car ils sont capables de connaître des objets, connaissance qui, sous forme de motif, détermine leurs mouvements.

L’entendement est le même dans les animaux et dans l’homme ; il présente partout la même essence simple : connaissance par les causes, faculté de rattacher l’effet à la cause ou la cause à l’effet,