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brement régressif de ces raisons et conséquences, bref que le monde existe en soi et que partout il constitue un tout donné ; dans ce cas l’antithèse aurait été en contradiction non seulement avec la thèse, mais encore avec elle-même ; car jamais un tout ne peut être donné tout entier, jamais une série infinie ne peut exister, à moins d’être parcourue à l’infini, jamais une chose illimitée ne peut constituer un tout. Ainsi c’est uniquement à la thèse que l’on doit imputer cette supposition qui, selon l’affirmation de Kant, a conduit à l’erreur thèse et antithèse.

Aristote déjà enseigne qu’un infini ne peut exister qu’en puissance, jamais en acte ; autrement dit, jamais un infini ne peut être réel, ne peut être donné : « L’infini ne peut être en acte ;… mais il est impossible que l’infini soit en acte[1]. » Ailleurs : « Il n’y a pas, dit-il, d’infini en acte ; il n’y a d’infini qu’en puissance et par voie de division[2]. » Il explique cela en détail, dans un passage de la {{lié|Physique[3], où dans une certaine mesure il nous donne la solution vraie de l’ensemble des problèmes antinomiques. Il nous expose, avec sa manière concise, les antinomies et alors il dit : « il faut un conciliateur[4] » : puis il donne la solution suivante, à savoir que l’infini, l’infini du monde dans l’espace aussi bien que dans le temps et dans la divisibilité, n’existe point antérieurement au fait de remonter ou de descendre les séries, progressus et regressus, mais bien par le fait même qu’on les remonte ou qu’on les descend. — Ainsi cette vérité se trouve déjà dans le concept logiquement entendu de l’infini. Et celui-là ne le comprend pas lui-même, qui s’imagine concevoir l’infini comme une chose objectivement réelle et donnée, indépendamment de tout regressus.

Disons plus : si l’on procède par la méthode inverse et si l’on prend pour point de départ ce que Kant nous donne comme la solution du conflit, par ce moyen, l’on arrive justement à la même affirmation de l’antithèse. En effet : si le monde n’est pas un tout inconditionné, s’il n’existe point en soi, mais seulement dans la représentation ; si les séries de raisons et de conséquences constituant le monde existent non pas avant le dénombrement des représentations de ces raisons et conséquences, mais par le fait seul de ce dénombrement ; dans ce cas, le monde ne peut pas contenir de séries déterminées, de séries finies ; en effet, la détermina-

  1. Ουκ εστιν ενεργεια ειναι το απειρον… αλλ’αδυνατον το ενεργεια ον απειρον. Métaphys. K, 11.
  2. Κατ ενεργειαν μεν γαρ ουδεν εστιν απειρον, δυναμει δε επι την διαιρεσιν De gener. et corrupt., I, 3.
  3. Phys., III}}, 5 et 6.
  4. Διαιτητου.