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sur la connaissance intuitive

D’ailleurs ce caractère d’immédiation apparente qu’a l’intuition et qui vient tout entier du travail de l’esprit ; ce caractère en vertu duquel les choses, comme dit Euler, sont perçues par nous en elles-mêmes, et comme si elles existaient en dehors de nous, a quelque analogie avec la façon dont nous percevons les parties de notre propre corps, surtout lorsqu’elles souffrent, et c’est presque toujours le cas quand nous les percevons. De même que nous croyons percevoir immédiatement les choses là où elles sont, tandis que nous ne les percevons en réalité que dans notre cerveau, nous nous imaginons éprouver la douleur d’un membre dans le membre lui-même, tandis que nous l’éprouvons aussi dans le cerveau, où la dirige le nerf de la partie attaquée. C’est pourquoi nous ne ressentons que les affections des parties dont les nerfs aboutissent au cerveau, et non celles des parties dont les nerfs appartiennent au système ganglionnaire, à moins que ce ne soit une douleur extraordinairement forte, qui arrive par contre-coup jusqu’au cerveau, et encore on n’éprouve la plupart du temps qu’un malaise vague, qui ne permet pas de localiser le mal. De là vient encore que les blessures d’un membre dont les nerfs sont coupés ou serrés, ne sont pas perçues ; de là enfin ce fait qu’un homme, qui a perdu un membre, éprouve néanmoins de temps en temps des douleurs qu’il localise dans ce membre, parce que les nerfs aboutissant au cerveau existent encore. Ainsi, dans les deux phénomènes que nous avons rapprochés, ce qui se passe dans le cerveau est appréhendé comme se passant au dehors dans l’intuition, grâce à l’entendement, qui envoie ses fils sensitifs jusque dans le monde extérieur dans la sensation des membres, par l’entremise des nerfs.