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CHAPITRE IV
SUR LA CONNAISSANCE À PRIORI

De ce fait que nous pouvons tirer de nous-mêmes et déterminer les lois des rapports dans l’espace, sans recourir à l’expérience, Platon concluait que toute science n’est qu’un souvenir ; Kant, au contraire, que l’espace est une condition subjective et une simple forme de notre faculté de connaître. Le point de vue de Kant est bien plus élevé que celui de Platon.

Cogito, ergo sum est un jugement analytique : Parménide le considérait comme une proposition identique το γαρ αυτο νοειν εστι τε και ειναι ; « nam intelligere et esse idem est ».(Clément d’Alexandrie, Stromates, VI, 2, § 23). Mais comme tel, ou comme purement analytique, il ne peut nous apprendre quelque chose de bien particulier, pas même si, l’étudiant de plus près, on voulait le tirer, comme conclusion, de la prémisse non-entis nulla sunt prædicata. Mais Descartes a proprement voulu exprimer par là cette grande vérité, que la certitude immédiate n’appartient qu’à la conscience, c’est-à-dire au subjectif ; quant à l’objectif, c’est-à-dire tout le reste, il n’a qu’une certitude médiate, puisqu’il n’existe que par l’intermédiaire du premier ; c’est une connaissance de seconde main, et l’on doit par conséquent la considérer comme problématique. C’est là-dessus que repose toute la valeur de la fameuse proposition. Nous pouvons lui opposer cette autre, dans le sens de la philosophie kantienne Cogito, ergo est, — c’est-à-dire comme je pense dans les choses certains rapports (les mathématiques), je dois les retrouver toujours exactement dans toute expérience possible ; c’était là un aperçu important, profond et tardif, qui se présentait sous le couvert du problème de la possibilité des jugements synthétiques à priori, et qui a préparé réellement une vue profonde des choses. Ce problème est le mot d’ordre de la philosophie de Kant, comme la première proposition est celui de la philosophie de Descartes, et il montre (grec) (une brebis sur le troupeau).

Kant a bien raison de commencer par des considérations sur l’espace et le temps. Car pour un esprit spéculatif les premières questions qui s’imposent, c’est : Qu’est-ce que le temps ? Qu’est-ce que cet être qui ne consiste qu’en mouvement, sans rien qui le meuve lui-même ? — Qu’est-ce que l’espace, ce néant omniprésent en dehors duquel rien ne peut exister sans cesser d’être ?