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le monde comme volonté et comme représentation

des données suivantes : Art. 1er. La métaphysique est la science de ce qui réside au delà de toute expérience possible. — Art. 2. Pour édifier une science de ce genre, on ne saurait partir de principes puisés eux-mêmes au sein de l’expérience (Prolégomènes, § I) ; pour dépasser l’expérience possible, il faut recourir à ce que nous connaissons antérieurement à toute expérience, c’est-à-dire indépendamment de toute expérience. — Art. 3. Il se trouve effectivement en notre raison un certain nombre de principes qui satisfont à cette condition ; on les désigne sous le nom d’idées de la raison pure. — Jusqu’à présent Kant ne se sépare point de ses prédécesseurs ; mais c’est ici que se fait la scission. Les philosophes antérieurs disent : « Ces principes, ou idées de la raison pure, sont des expressions de la possibilité absolue des choses, des vérités éternelles, sources de l’ontologie ; ils dominent l’ordre du monde, comme le fatum dominait les dieux des anciens. » Kant dit : « Ce sont de simples formes de notre entendement, des lois qui régissent non les choses, mais la conception que nous avons des choses ; par suite, nous n’avons pas le droit de les étendre, comme on voulait le faire (cf. Art. 1), au delà de l’expérience possible. C’est donc justement l’apriorité des formes et de la connaissance qui nous interdit à jamais la connaissance de l’être en soi des choses, puisque cette connaissance ne peut s’appuyer que sur des formes d’origine subjective ; nous sommes enfermés dans un monde de purs phénomènes : il s’ensuit que, bien loin de connaître a priori ce que les choses peuvent être en soi, nous sommes incapables de le savoir, fût-ce a posteriori. Par suite, la métaphysique est impossible, et on lui substitue la Critique de la raison pure ! » Dans sa lutte contre le vieux dogmatisme, Kant remporte une pleine victoire ; aussi tous ceux qui depuis tentent des essais dogmatiques sont-ils forcés de suivre une méthode toute différente des méthodes anciennes : je vais maintenant passer à la justification de celle que j’ai adoptée moi-même ; c’est du reste, ainsi que je l’ai dit, le but que je me propose dans cette Critique de la philosophie de Kant.

En effet, si l’on examine de près l’argumentation qui précède, on ne peut s’empêcher de convenir que le premier postulat fondamental sur lequel elle s’appuie forme une pétition de principe ; voici ce postulat fondamental : il est exprimé avec une netteté toute particulière dans le § I des Prolégomènes : « La source de la métaphysique doit absolument ne pas être empirique ; ses principes et concepts fondamentaux doivent n’être puisés ni dans l’expérience interne, ni dans l’expérience externe. » À l’appui de cette affirmation capitale Kant n’apporte aucune autre raison que l’argument étymologique tiré du mot métaphysique. Voici en réalité comment procède Kant : le monde et notre propre existence se posent néces-