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CHAPITRE VII
DES RAPPORTS DE LA CONNAISSANCE INTUITIVE ET DE LA CONNAISSANCE ABSTRAITE


Comme la matière des concepts, — ainsi que nous l’avons montré, — n’est autre que la connaissance intuitive, et que par conséquent tout l’édifice de notre monde intellectuel repose sur le monde de l’intuition, nous devons pouvoir revenir, comme par degrés, de concepts en concepts aux intuitions d’où ces concepts ont été immédiatement tirés ; c’est-à-dire que nous devons pouvoir appuyer tout concept sur des intuitions qui, par rapport aux abstractions. jouent le rôle d’un modèle. Ces intuitions représentent donc le contenu réel de notre pensée ; partout où elles manquent, il n’y a plus de concepts, mais des mots. Sous ce rapport, notre intelligence ressemble à un billet de banque, qui, pour avoir une valeur réelle, suppose du numéraire en caisse, destiné à solder, le cas échéant, tous les billets émis. Les intuitions sont le numéraire, et les concepts sont les billets. En ce sens, on pourrait appeler fort justement représentations primaires les intuitions, et représentations secondaires les concepts. Les noms donnés par les Scholastiques, d’après Aristote, aux objets réels et aux concepts (substantiæ primæ, substantiæ secundæ), n’étaient pas tout à fait aussi justes (Métaphys., VI, ii ; XI, i). Les livres ne suggèrent que des représentations secondaires. Le simple concept d’une chose, sans l’intuition, n’en donne qu’une notion toute générale. On n’a une complète intelligence des choses et de leurs rapports, qu’autant qu’on est capable de se les représenter dans des intuitions claires et distinctes, sans le secours des mots. Expliquer un mot par un autre, comparer entre eux les concepts, c’est en quoi consistent à peu près toutes les discussions philosophiques ; et ce n’est au fond que s’amuser à faire rentrer les unes dans les autres toutes les sphères de concepts, afin de voir celles qui sont capables de s’y prêter et celles qui ne le sont pas. Dans le cas le plus heureux, on arrive ainsi à des conclusions ; mais les conclusions non plus n’apportent aucune connaissance nouvelle, et ne font que révéler tout ce qui se trouvait déjà dans une connaissance préalable, et ce qu’on en doit prendre pour les divers cas qui se présentent. Au contraire voir, laisser les choses elles-mêmes nous parler, embrasser entre