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à propos de la logique en général

La règle de logique, suivant laquelle les jugements singuliers en quantité, qui ont une notio singularis pour sujet, se comportent comme les jugements généraux, repose sur ce fait, que ce sont là en réalité des jugements universels avec ce caractère d’avoir pour sujet un concept qui ne peut être rempli que par un seul objet réel. Il en est ainsi par exemple, quand le concept est désigné par un nom propre. Mais, à proprement parler, cette particularité n’entre en compte que si de la représentation abstraite on passe à la représentation intuitive, et qu’on veuille réaliser les concepts. Dans la pensée elle-même, lorsqu’on opère sur des jugements, cette particularité ne constitue pas une différence, précisément parce qu’il n’y a pas de différence logique entre des concepts singuliers et des concepts universels. « Emmanuel Kant » signifie au point de vue logique « tous les Emmanuel Kant ». Aussi la quantité des jugements est-elle de deux sortes seulement : universelle ou particulière. Une représentation singulière ne peut pas être le sujet d’un jugement, parce qu’elle n’est pas quelque chose d’abstrait, de pensé, mais quelque chose d’intuitif : tout concept au contraire est essentiellement général, et tout jugement doit avoir pour sujet un concept.

La différence entre les jugements particuliers (propositiones particulares) et les jugements universels vient souvent de cette circonstance extérieure et accidentelle, qu’il n’y a point de mot dans la langue pour exprimer en elle-même la partie détachée d’un concept universel, laquelle est le sujet d’un tel jugement ; si la langue possédait toujours le terme qu’il faut, maint jugement particulier deviendrait général. Ainsi le jugement particulier, « quelques arbres portent des noix de galle », devient général, parce qu’il y a un terme propre désignant cette partie du concept « arbre » : « tous les chênes portent des noix de galles ». Tel est encore le rapport de ce jugement : « quelques hommes sont noirs », au suivant : « tous les nègres sont noirs ». Ou bien encore la différence dont nous parlons vient de ce que la personne qui juge n’a pas nettement détaché le sujet du jugement particulier du concept général : elle le désigne comme une partie de ce dernier, au lieu qu’elle pourrait l’envisager en lui-même et énoncer par là un jugement universel. Ainsi, au lieu de ce jugement : « quelques ruminants ont des dents antéro-supérieures », on peut énoncer le suivant : « tous les ruminants sans cornes ont des dents antéro-supérieures ».

Le jugement hypothétique et le jugement disjonctif énoncent le rapport de deux jugements catégoriques entre eux (le jugement disjonctif l’énonce aussi de plusieurs). — Le jugement hypothétique affirme que de la vérité du premier des jugements catégo-