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doctrine de la représentation abstraite

lement saisissable qu’au détriment de l’exactitude et de la profondeur. Cette théorie ne donne pas une idée nette de la fonction intellectuelle propre au raisonnement déductif, et dont dépendent les trois figures syllogistiques et leur nécessité. Car dans le raisonnement déductif nous n’opérons pas sur de simples concepts, mais avec des jugements qui possèdent par essence une qualité, laquelle se trouve uniquement dans la copule, non dans les concepts, une quantité, et par surcroît une modalité. La théorie qui fait du syllogisme un rapport entre trois concepts a ce défaut de commencer par résoudre les jugements en leurs derniers éléments, les concepts ; elle ne s’attache pas au moyen de combiner ces concepts, et nous fait ainsi perdre de vue ce qui est propre aux jugements en tant que tels, dans leur intégrité, et dont dépend justement la nécessité de la conclusion qui découle de ces jugements. C’est un défaut analogue à celui où tomberait la chimie organique, si dans l’analyse des plantes elle commençait par les résoudre en leurs derniers éléments constitutifs : elle trouverait ainsi dans toutes les plantes du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène, mais elle en laisserait échapper toutes les différences spécifiques ; car pour obtenir celles-ci il faut s’arrêter aux éléments plus proches, aux alcaloïdes, et se garder de les décomposer aussitôt. De trois concepts donnés, sans rien de plus, il est impossible de tirer un syllogisme. Sans doute on ajoute ce correctif, que le rapport de deux concepts au troisième doit être donné. Mais les jugements qui réunissent ces concepts sont précisément l’expression de ce rapport ; ce sont donc des jugements, et non des concepts, qui forment la matière du syllogisme. Déduire c’est essentiellement faire une comparaison entre deux jugements ; c’est sur des jugements et les idées qu’ils expriment, et non sur de simples concepts, qu’opère le mode de penser syllogistique, même lorsqu’il est imparfait, ou quand il n’est aucunement exprimé par des termes ; il faut voir dans ce mode de penser une coordination de jugements pris dans leur intégrité, si l’on veut bien comprendre les procédés techniques du raisonnement déductif et se rendre compte de la nécessité vraiment rationnelle de trois figures syllogistiques.

Quand on s’explique le syllogisme par des sphères de concepts, on se représente ces dernières sous forme de cercles ; quand on se l’explique par une combinaison de jugements, on devra se les figurer sous forme de bâtonnets qui se rejoignent tantôt par un bout, tantôt par l’autre ; les différentes manières dont ils se relieront les uns aux autres donneront les trois figures. Chaque prémisse renfermant son sujet et son attribut, ces deux concepts devront être représentés comme se trouvant aux deux bouts du bâtonnet.