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le monde comme volonté et comme représentation

le contenu. Mais en ce cas l’on aurait vu quelle part a l’entendement dans cette intuition, et surtout l’on aurait vu en même temps ce qu’est l’entendement et ce qu’est par contre la raison proprement dite, cette raison dont Kant écrivait la critique. Il est tout à fait frappant que jamais non plus Kant ne précise ce dernier point d’une manière méthodique et suffisante ; il n’en donne que des explications incomplètes et sans rigueur, d’une façon d’ailleurs tout à fait incidente, selon qu’il y est amené par les matières qu’il traite ; il est en cela tout à fait en contradiction avec la règle de Descartes invoquée plus haut. En voici quelques exemples[1] : la raison, dit Kant, est la faculté de connaître les principes a priori[2] ; plus loin, même définition, la raison est la faculté de connaître les principes[3], et elle s’oppose à l’entendement, en ce que celui-ci est la faculté de connaître les règles[4]. Cela donnait à penser qu’entre principes et règles il devait y avoir un abîme, puisque Kant prend sur lui d’admettre pour les uns et pour les autres deux facultés de connaître différentes. Pourtant cette grande différence doit consister simplement en ceci : est une règle ce qui est connu a priori par l’intuition pure ou par les formes de l’entendement ; n’est un principe que ce qui découle de purs concepts a priori. Nous reviendrons encore dans la suite, à propos de la dialectique, sur cette distinction arbitraire et inopportune. — Ailleurs, la raison est la faculté de raisonner[5] ; quant au simple jugement, Kant le donne généralement comme le produit de l’entendement[6]. D’une manière plus précise, il dit : le jugement est le produit de l’entendement tant que la raison du jugement est empirique, transcendantale ou métalogique[7] ; si au contraire cette raison est logique, si, en d’autres termes, la raison du jugement est un raisonnement, nous sommes en présence d’une faculté de connaître toute particulière et bien supérieure, la raison. Chose plus singulière encore, il prétend que les conséquences immédiates d’un principe sont encore du ressort de l’entendement[8] : ne sont élaborées par la raison que les conséquences pour la démonstration desquelles on invoque un concept intermédiaire ; et il cite à l’appui l’exemple suivant : étant donné le prin-

  1. J’avertis le lecteur que, dans toutes mes citations de la Critique de la raison pure, je me réfère à la pagination de la première édition ; cette pagination est reproduite intégralement dans Rozenkranz (éd. des Œuvres complètes de Kant). J’indique en outre la pagination de la cinquième édition ; toutes les éditions, à partir de la seconde, sont d’accord avec la cinquième, même pour la pagination.
  2. « Das Vermœgen der Principien a priori » (Critique de la raison pure, p. 11,5e éd., p. 24).
  3. Ibid., p. 299 ; 5e éd., p. 356.
  4. « Das Vermœgen der Regeln. »
  5. « Das Vermœgen zu Schliessen » ; p. 330 ; 5e éd., p. 386.
  6. P. 69 ; 5e éd., p. 94.
  7. Traité du principe de raison, §§ 31,32,33.
  8. P. 303 ; 5e éd., p. 360.