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doctrine de la représentation abstraite

tient pas ses promesses, et se détruit elle-même. Les éclaircissements, par lesquels saint Augustin ouvre son exposé de la morale antique, sont donc aussi justes que conformes à l’esprit chrétien (De civit. Dei, XIX, c. i) « Exponenda sunt nobis argumenta mortalium, quibus sibi ipsi beatitudinem facere in hujus vitæ infelicitate moliti sunt ; ut ab eorum rebus vanis spes nostra quid differat clarescat. De finibus bonorum et malorum multa inter se philosophi disputarunt ; quam quæstionem maxima intentione versantes, invenire conati sunt, quid efficiat hominem beatum : Illud enim est finis bonorum. » Je veux faire ressortir le but eudémonique de la morale antique par quelques passages significatifs empruntés aux anciens eux-mêmes. Aristote dit (Ethic. magn. 1,4) : ἡ εὐδαιμονία ἐν τῷ εὖ ζῆν ἐστι, τὸ δὲ εὖ ζῇν ἐν τῷ ϰατὰ τὰς ἀρετὰς ζῆν. Cf. Éth. à Nicomaque, I, 5. Cicéron, Tuscul., V : « Nam quum ea causa impulerit eos, qui primi se ad philosophias studia contulerunt, ut, omnibus rebus posthabitis, totos se in optimo vitæ statu exquirendo collocarent, profecto spe beate vivendi tantam in eo studio curam operamque posuerunt. » — D’après Plutarque (De Repugn. stoïc., c. 18), Chrysippe a dit : το κατα κακιαν ζην τω κακοδαιμονως ζην ταυτον εστι, « Vitiose vivere idem est quod vivere infeliciter. » Ibid., c. 26 : Η φρονησις ουκ ετερον εστι της ευδαιμονιας καθ’εαυτο αλλ’ευδαιμονια. « Prudentia nihil differt a felicitate est que ipsa adeo felicitas. » Stobée (Eclog. lib. II, c. 7) : Τελος δε φασιν ειναι το ευδαιμονειν, ου ενεκα παντα πραττεται, « Finem esse dicunt felicitatem cujus causa fiunt omnia. Ευδαιμονιαν συνωυμειν τω τελει λεγουσιν « Finem bonorum et felicitatem synonyma esse dicunt. » Arrien (Dissert. Epict. I, 4) : Η αρετη ταυτην εχει την επαγγελιαν, ευδαιμονιαν ποιησαι, « Virtus profitetur, se felicem praestare. » Sénèque (Epist. 90) « Ceterum (sapientia) ad beatum statum tendit, illo ducit, illo vias aperit ». — Le même (Epist. 108) « Illud admoneo, auditionem philosophorum, lectionemque, ad propositum beatae vitæ trahendum ».

Vivre heureux, tel est le but que se proposait également la morale des cyniques. L’empereur Julien le dit en propres termes (Orat. VI) : της κυνικης δε φιλοσοφιας σκοπος μεν εστι και τελος, ωσπερ δη και πασης φιλοσοφιας, το ευδαιμονειν το δε ευδαιμονειν εν τω ζην κατα φυσιν, αλλα μη προς τας των πολλων δοξας. « Cynicæ philosophiæ, ut etiam omnis philosophiæ, scopus et finis est, feliciter vivere felicitas vitæ autem in eo posita est, ut secundum naturam vivatur, nec vero secundum opiniones multitudinis. » Seulement les cyniques, pour arriver à ce but, prenaient un chemin très particulier, un chemin aussi éloigné que possible de celui du vulgaire. Ils pratiquaient le détachement le plus austère. Ils partaient de ce principe : que les troubles causés dans notre volonté par les objets qui l’attirent et l’excitent, les efforts pénibles, souvent inutiles, que nous faisons pour les atteindre ; puis, quand nous les avons atteints. la crainte que nous