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doctrine de la représentation abstraite

Laert. VI, 2). Et plus loin : « Δεον, αντι των αχρηστων πονων, τους κατα φυσιν ελομενους, ζην ευδαιμονως παρα την ανοιαν κακοδαιμονουσι… Τον αυτον χαρακτηρα του βιου λεγων διεξαγειν, ονπερ και Ηρακλης, μηδεν ελευθεριας προκρινων, « Quum igitur, repudiatis inutilibus laboribus, naturales insequi ac vivere beate debeamus, per summam dementiam infelices sumus, eamdem vitae formam quam Hercules se vivere affirmans, nihil libertati præferens. » (Ibid.)

Aussi les premiers cyniques, les purs, comme Antisthènes, Diogène, Cratès et leurs disciples, avaient-ils renoncé une fois pour toutes, à posséder quoique ce fût, à se donner aucune des commodités ni aucun des plaisirs de la vie, afin d’échapper pour toujours aux soucis, à l’esclavage et aux douleurs, qui y sont attachés, et que tous les biens du monde ne sauraient compenser. En satisfaisant seulement les besoins les plus indispensables, en renonçant à tout superflu, ils pensaient être quittes à bon compte. Ils se contentaient des choses les plus simples, que les pauvres se procuraient gratuitement à Corinthe comme à Athènes, de lupins, d’eau pure, d’un mauvais manteau, d’une besace et d’un bâton. Ils mendiaient à l’occasion, autant que cela était nécessaire pour mener cette vie ; mais ils ne travaillaient pas. Jamais ils ne prenaient rien de plus que le nécessaire pour suffire aux besoins que nous venons de dire. L’indépendance, dans le sens le plus large du mot, tel était leur but. Ils passaient leur temps à dormir, à vaguer çà et là, à causer avec les uns et les autres, à plaisanter, à se moquer et à rire : leur caractère n’était qu’insouciance et gaité. Vivant ainsi, ne poursuivant aucun but particulier, ils dominaient les soucis humains, jouissaient de complets loisirs, et se rendaient très propres, à titre d’hommes d’une force d’âme éprouvée, à devenir les conseillers et les directeurs de leurs semblables. Aussi Apulée dit-il (Floride IV) : « Crates, utlar familiaris, apud homines suæ ætatis cultus est. Nulla domus ei unquam clausa erat ; nec erat patrisfamilias tam absconditum secretum, quin eo tempestive Crates interveniret, litium omnium et jurgiorum inter propinquos disceptator et arbiter. » Ils présentent par là, comme sur bien d’autres points, une grande analogie avec les moines mendiants des temps modernes, bien entendu avec les meilleurs et les plus purs d’entre ceux-ci, dont on peut trouver l’idéal dans le capucin Christophe, du célèbre roman de Manzoni. Cependant cette analogie n’est que dans les actes, et non dans les motifs. Ils se rencontrent pour le résultat ; mais l’idée fondamentale du cynisme et celle du monachisme sont bien différentes. Pour les moines, comme pour les Sanyasis qui leur ressemblent, le but est au delà de cette vie ; quant aux cyniques, ils sont convaincus qu’il est plus facile de s’en tenir au minimum des désirs et des besoins, que d’arriver au maximum de leur satisfac-