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doctrine de la représentation abstraite

s’étende pas jusqu’à la vraie, jusqu’à la philosophie sérieuse. Car s’il y a quelque chose de souhaitable au monde, — et de si souhaitable que la foule grossière et stupide elle-même, dans ses moments lucides, l’estimerait plus que l’or et l’argent, — c’est de voir un rayon de lumière tomber sur l’obscurité de notre existence ; c’est de trouver quelque solution à la mystérieuse énigme de notre vie, dont nous n’apercevons que la misère et la vanité. Et pourtant ce bienfait serait rendu impossible si quelqu’un, en admettant que la chose fût possible, imposait certaines solutions du problème.

Voyons maintenant d’un coup d’œil général les différentes façons de satisfaire ce besoin métaphysique si impérieux.

Par métaphysique, j’entends tout ce qui a la prétention d’être une connaissance dépassant l’expérience, c’est-à-dire les phénomènes donnés, et qui tend à expliquer par quoi la nature est conditionnée dans un sens ou dans l’autre, ou, pour parler vulgairement, à montrer ce qu’il y a derrière la nature et qui la rend possible. Mais maintenant la grande diversité originelle des intelligences, à laquelle s’ajoute encore la différence des éducations, qui exigent tant de loisirs, tout cela distingue si profondément les hommes, qu’aussitôt qu’un peuple est sorti de l’ignorance grossière, une même métaphysique ne saurait suffire pour tous. Aussi, chez les peuples civilisés, trouvons-nous en gros deux espèces de métaphysiques, qui se distinguent l’une de l’autre, en ce que l’une porte en elle-même sa confirmation, et que l’autre la cherche en dehors d’elle. La réflexion, la culture, les loisirs et le jugement, telles sont les conditions qu’exigent les systèmes métaphysiques, de la première espèce, pour contrôler la confirmation qu’ils se donnent à eux-mêmes ; aussi ne sont-ils accessibles qu’à un très petit nombre d’hommes, et ne peuvent-ils se produire et se conserver que dans les civilisations avancées. C’est pour la multitude au contraire, pour des gens incapables de penser, que sont faits exclusivement les systèmes de la seconde espèce. La foule ne peut que croire et s’incliner devant une autorité, le raisonnement n’ayant pas de prise sur elle. Nous appellerons ces systèmes des métaphysiques populaires, par analogie avec la poésie et la sagesse populaire (sous ce dernier nom on entend les proverbes). Cependant ils sont appelés communément Religion et se trouvent chez tous les peuples, excepté les plus anciens. Comme nous l’avons dit, ils cherchent au dehors leur confirmation ; la vérité leur est extérieurement révélée, et se manifeste par des prodiges et des miracles. Leurs arguments consistent surtout en menaces de peines éternelles ou temporelles, dirigées contre les incrédules, et même contre les simples sceptiques : chez certains peuples, on trouve le bûcher ou tout autre supplice analogue, comme ultima