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le besoin métaphysique de l’humanité

en soi, il y a un abîme profond, une différence radicale ; que pour s’éclairer à ce sujet, il faut connaître et délimiter avec précision l’élément subjectif du phénomène, et être arrivé à comprendre que les renseignements derniers, les plus importants sur l’essence des choses, ne peuvent être puisés que dans la conscience de nous-mêmes ; sans ces opérations préalables il est impossible de faire un pas au delà de ce qui est immédiatement donné aux sens, en d’autres termes de dépasser le problème. Remarquons pourtant, d’autre part, qu’une connaissance aussi complète que possible de la nature est nécessaire pour poser avec précision le problème de la métaphysique. Aussi personne ne devra-t-il essayer d’aborder cette science, avant d’avoir acquis une connaissance, au moins générale, mais exacte, claire et coordonnée, des diverses branches de l’étude de la nature. Car le problème précède nécessairement la solution. Mais une fois le problème posé, il faut que le regard du chercheur se porte en dedans ; car les phénomènes intellectuels et moraux sont plus importants que les phénomènes physiques, au même titre que le magnétisme animal, par exemple, est un phénomène incomparablement plus important que le magnétisme minéral. Les mystères derniers et fondamentaux, l’homme les porte dans son être intime, et celui-ci est ce qui lui est le plus immédiatement accessible. Aussi est-ce là seulement qu’il peut espérer trouver la clé de l’énigme du monde, et le fil unique qui lui permette de saisir l’essence des choses. Le domaine propre de la métaphysique est donc ce qu’on a appelé la philosophie de l’esprit.

Tu fais passer sous mes yeux les séries des vivants,
Et m’apprends à connaître mes frères
Dans le buisson silencieux, dans l’air et dans l’eau ;
.  . . . . . . . . . . .
Puis tu me ramènes à l’antre sûr, tu me montres
À moi-même ; et des merveilles mystérieuses
Surgissent des profondeurs de mon être pour se révéler à moi.

Enfin, en ce qui concerne la source ou le fondement de la connaissance métaphysique, j’ai déjà combattu plus haut l’assertion maintes fois répétée par Kant, suivant laquelle cette source se trouverait dans de simples concepts. Les concepts ne peuvent jamais être l’élément premier d’une connaissance, étant toujours dégagés abstraitement d’une intuition quelconque. Ce qui a produit cette erreur, c’est vraisemblablement l’exemple des mathématiques. Celles-ci, comme en témoignent les procédés de l’algèbre, de la trigonométrie et de l’analytique, laissent tout à fait de côté l’intuition, opèrent avec de simples concepts abs-