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le besoin métaphysique de l’humanité

dans toute son étendue ; elle ne fait que nous fournir un élément empirique général, c’est-à-dire une simple forme sans contenu. Et comme la métaphysique ne saurait le moins du monde être limitée à cet élément, elle doit avoir des sources de connaissance empiriques. Par conséquent, toute idée préconçue d’une métaphysique pouvant être construite purement a priori est nécessairement vaine. Kant a commis une réelle pétition de principe, sophisme auquel il a donné son expression la plus éclatante au § 1 des Prolégomènes, lorsqu’il a affirmé que la métaphysique ne peut pas puiser dans l’expérience ses concepts et ses principes fondamentaux. En effet, pour arriver à cette conclusion, il admet que cela seul que nous savons avant toute expérience peut conduire plus loin que toute expérience possible. Fort de ce postulat, il prétend nous démontrer ensuite que cette connaissance antérieure à toute expérience n’est que la forme où l’intellect reçoit l’expérience, qu’en conséquence elle ne peut nous mener au-delà de celle-ci, et c’est ainsi qu’il établit très logiquement l’impossibilité de toute métaphysique. Mais, lorsqu’il s’agit de déchiffrer l’expérience, c’est-à-dire le monde qui est sous nos yeux, n’est-ce pas renverser la méthode naturelle, que de faire abstraction de cette expérience, d’en ignorer le contenu, pour ne s’attacher qu’à des formes vides qui nous sont connues a priori ? N’est-il pas naturel au contraire, que la science de l’expérience en tant que telle puise aux sources de cette expérience ? Le problème de cette science n’est-il pas posé empiriquement ? Pourquoi dès lors la solution ne s’aiderait-elle pas de l’expérience ? N’est-il pas absurde que celui qui doit parler de la nature des choses, ne considère pas ces choses elles-mêmes, mais s’en tienne à certains concepts abstraits ? Sans doute l’objet de la métaphysique n’est pas l’examen de certaines expériences particulières, mais en tout cas elle se propose d’expliquer correctement l’expérience dans son ensemble. Le fondement en doit donc être de nature empirique. Bien plus, le caractère même a priori d’une partie de la connaissance humaine est saisi par la métaphysique comme un fait donné, duquel elle conclut à l’origine subjective de cette partie. C’est seulement parce que la conscience de son caractère à priori l’accompagne, que cette partie de notre connaissance s’appelle chez Kant transcendantale, en opposition à transcendant, qui signifie « ce qui dépasse toute possibilité empirique », et qui s’oppose lui-même à immanent, lequel signifie ce qui reste dans les limites de cette possibilité. Je rappelle volontiers la signification primitive de ces termes introduits par Kant, avec lesquels, ainsi qu’avec celui de « catégorie » et autres, les singes contemporains de la philosophie font joujou. D’ailleurs la source de la métaphysique n’est pas seulement l’expérience externe, mais également l’expérience interne ; le propre