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le besoin métaphysique de l’humanité

sées à la source de l’expérience, n’ont pourtant de valeur que dans le domaine empirique. Et c’est avec raison qu’il enseigne qu’en suivant cette voie nous ne pourrons jamais dépasser la condition de possibilité de toute expérience. Mais il est d’autres méthodes pour arriver à la métaphysique. L’ensemble de l’expérience ressemble à une écriture chiffrée : la philosophie en sera le déchiffrement ; si la traduction est cohérente dans toutes ses parties, la philosophie sera exacte. Pourvu seulement que cet ensemble soit compris avec assez de profondeur et que l’expérience externe soit combinée avec l’expérience interne, il sera possible de l’interpréter et de l’expliquer, en partant de lui-même. Kant a montré irréfutablement que l’expérience en elle-même est constituée par deux éléments, les formes de la connaissance et l’essence en soi des choses ; qu’il est même possible d’y délimiter ces deux éléments, l’un étant ce qui nous est connu a priori, l’autre ce qui vient s’y ajouter a posteriori. Aussi peut-on indiquer, d’une manière générale au moins, ce qui dans l’expérience donnée, laquelle est avant tout un pur phénomène, appartient à la forme du phénomène conditionnée par l’intellect et ce qui, après soustraction de cette forme, demeure à la chose en soi. Et bien que personne ne puisse connaître la chose en soi à travers l’enveloppe des formes de l’intuition, d’autre part pourtant chacun porte cette chose en soi ; bien plus, chacun est cette chose : aussi doit-elle nous être accessible, bien que d’une manière conditionnée, dans quelque partie de notre conscience.

Donc le pont qui permet à la métaphysique de dépasser l’expérience n’est autre chose que l’analyse de l’expérience et la distinction entre le phénomène et la chose en soi, distinction où j’ai vu le plus sérieux mérite de Kant, car elle implique la notion d’un noyau du phénomène, distinct du phénomène. Ce noyau ne peut jamais sans doute être complètement détaché du phénomène et être considéré en lui-même comme un ens extramundanum ; il ne sera jamais connu que dans ses rapports au phénomène lui-même. Mais l’interprétation et l’explication du phénomène dans ses relations à son noyau intime, peut nous donner sur celui-ci des renseignements, qui autrement n’auraient jamais pénétré dans la conscience. En ce sens donc, la métaphysique dépasse la nature pour atteindre à ce qui est caché dans elle ou derrière elle (τὸ μετὰ τὸ φυσιϰόν), mais elle ne considère cet élément caché que comme apparaissant dans la nature et non indépendamment de tout phénomène : elle demeure donc immanente, non transcendante. Et en effet elle ne se détache jamais entièrement de l’expérience ; elle en est la simple explication et interprétation, puisqu’elle ne parle de la chose en soi que dans ses rapports avec le phénomène. Du moins est-ce dans cet esprit que j’ai cherché à résoudre le pro-