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point originairement séparées, mais au contraire unies entre elles. Or, le temps et l’espace sont les formes universelles de notre intuition : par conséquent, tout ce qui est représenté ou donné dans le temps et dans l’espace se manifeste originairement comme continu, autrement dit comme uni dans toutes ses parties ; plus n’est besoin désormais de faire intervenir une prétendue synthèse de cette diversité. Ce serait une erreur de faire consister cette synthèse de la pluralité de l’intuition dans l’opération par laquelle, lorsqu’un objet produit sur nos différents sens des impressions diverses, nous rapportons néanmoins ces impressions à un objet unique ; ainsi, quand nous avons l’intuition d’une cloche et que nous reconnaissons un seul et même corps dans ce qui donne à notre œil l’impression du jaune, à nos mains celle du poli et de la dureté, à nos oreilles celles du son. En réalité il ne faut voir là qu’un résultat de la connaissance a priori du lien causal ; cette connaissance est la fonction réelle et unique de l’entendement ; grâce à elle, étant données les différentes impressions reçues par les organes de nos différents sens, nous remontons cependant à une cause unique, commune à toutes ces impressions, et cette cause n’est autre que la constitution du corps qui se trouve devant nous, de telle sorte que notre entendement, malgré la diversité et la pluralité des effets, saisit néanmoins l’unité de la cause sous la forme d’un objet un et qui grâce à son unité même se manifeste intuitivement. — Dans le beau résumé qu’il donne de sa doctrine dans la Critique de la Raison pure[1], Kant définit les catégories d’une manière plus nette peut-être que partout ailleurs : elles sont, dit-il, « la simple règle de la synthèse des données a posteriori de la perception ». Kant semble concevoir ici le rôle des catégories par analogie avec celui des angles dans la construction des triangles ; car les angles eux aussi nous donnent la règle de combinaison des lignes : tout au moins, grâce à cette image il nous est possible d’expliquer de notre mieux ce que dit Kant au sujet de la fonction des catégories. La préface des Fondements métaphysiques de la science de la nature contient une longue remarque qui nous donne également une définition des catégories ; « les catégories, dit-il, ne sont en rien distinctes des opérations formelles accomplies par l’entendement dans le jugement, » sauf sur un seul point : dans ces dernières ; le sujet et le prédicat peuvent en toutes circonstances changer de place entre eux ; puis Kant définit le jugement en général de la manière suivante : « Une opération par laquelle les représentations données commencent à devenir des connaissances relatives à un objet ». À ce compte les animaux, qui ne formulent point de ju-

  1. P. 719,726 ; Ve éd. P. 747,754.