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critique de la philosophie kantienne

ont une seule et même forme, et que dans cette forme il n’y a plus de distinction à faire ; qu’en un mot, pour établir des différences, il faut retourner à la connaissance intuitive et abandonner tout à fait la connaissance abstraite. Aussi est-ce le contraire de la bonne méthode que celle inaugurée en cette matière par Kant. En quoi consistait-elle en effet ? À se mettre au point de vue de la connaissance abstraite pour découvrir les éléments et les rouages intérieurs de la connaissance intuitive elle-même ! D’ailleurs l’on peut, dans une certaine mesure, considérer tout mon traité préparatoire sur le principe de raison comme une étude approfondie de la forme hypothétique du jugement et de sa signification ; je ne m’appesantis donc pas davantage sur cette matière.

b. La forme du jugement catégorique n’est pas autre chose que la forme du jugement en général dans le sens le plus exact du mot. En effet, rigoureusement parlant, ce qui s’appelle juger, c’est uniquement penser la liaison ou l’incompatibilité des sphères des concepts : par suite la liaison hypothétique et la liaison disjonctive ne sont point, à proprement parler, des formes particulières de jugement ; en effet, on se borne à les superposer sur des jugements déjà préparés ; mais dans ces jugements la liaison des concepts demeure toujours et nécessairement la liaison catégorique ; les formes hypothétiques et disjonctives servent toutefois à relier les jugements entre eux, puisque la première exprime leur dépendance respective la deuxième leur incompatibilité. Mais les simples concepts n’ont qu’une seule relation entre eux, celle qui s’exprime dans les jugements catégoriques. Si l’on veut déterminer de plus près cette relation, si l’on veut y faire des subdivisions, l’on peut distinguer la pénétration mutuelle et la complète séparation des sphères des concepts, c’est-à-dire l’affirmation et la négation, lesquelles d’ailleurs ont été érigées par Kant en deux catégories particulières sous un titre tout différent, la qualité. La pénétration et la séparation se subdivisent à leur tour, selon que les sphères sont pénétrées entièrement par d’autres sphères ou seulement en partie ; ce point de vue constitue la quantité des jugements ; de celle-ci Kant a encore fait une classe de catégorie à part. De cette façon il séparait des choses tout à fait voisines, identiques même, je veux dire les nuances presque imperceptibles de la seule relation possible des concepts entre eux. Au contraire il unissait sous la rubrique relation des choses fort différentes.

Les jugements catégoriques ont pour principe métalogique l’identité et la contradiction, lois de la pensée. Mais la raison qui donne lieu à l’union des sphères des concepts, qui confère au jugement — c’est-à-dire à cette union — la vérité, cette raison n’est pas du même ordre dans tous les jugements : selon l’ordre auquel elle