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critique de la philosophie kantienne

d’un bout à l’autre d’après le tableau des catégories, ce qui peut-être est la cause principale des erreurs qui çà et là déparent cet ouvrage important, plein de justes et d’excellentes remarques. Le lecteur n’a qu’à voir de quelle manière à la fin du premier chapitre, il démontre que l’unité, la pluralité, la totalité des directions des lignes doivent correspondre aux catégories de même nom, lesquelles sont ainsi dénommées d’après la quantité des jugements.


Le principe de permanence de la substance est déduit de la catégorie de la subsistance et de l’inhérence. Or nous ne connaissons cette catégorie que par la forme des jugements catégoriques, c’est-à-dire par la liaison de deux concepts à titre de sujet et d’attribut. L’on voit par suite combien il était arbitraire de mettre un aussi grand principe métaphysique sous la dépendance de cette simple forme purement logique. Mais là aussi c’est le formalisme et la symétrie qui sont causes de tout. La démonstration, qui est donnée ici au sujet de ce principe, laisse complètement de côté la prétendue genèse qui le fait dériver de l’entendement et des catégories ; elle est tirée de l’intuition pure du temps. Malheureusement cette démonstration, elle aussi, est tout à fait inexacte. Il n’est pas vrai que, dans le temps, considéré exclusivement comme tel, il y ait une simultanéité et une durée : ces représentations ne prennent naissance du reste que par l’union de l’espace et du temps ; je l’ai déjà montré dans mon traité sur le Principe de raison (§ 18), et je l’ai expliqué plus amplement encore dans le premier livre du présent ouvrage (§ 4) ; je suppose connus ces deux éclaircissements, nécessaires à l’intelligence de ce qui suit. Il n’est pas vrai que, dans tout changement, le temps demeure : au contraire le temps est précisément ce qui passe ; un temps qui demeure est une contradiction. La démonstration de Kant ne se tient pas debout, à force d’avoir été appuyée sur des sophismes : il va jusqu’à tomber dans la contradiction la plus manifeste. En effet il commence par déclarer, à tort, que la simultanéité (Zugleichseyn) est un mode du temps[1] ; puis il dit, fort justement : « La simultanéité n’est pas un mode du temps, puisque dans celui-ci aucune partie n’existe en même temps qu’une autre ; toutes au contraire sont successives »[2]. — En réalité, l’idée de simultanéité implique celle d’espace tout autant que celle de temps. En effet, si deux choses existent en même temps et cependant ne sont pas identiques, c’est qu’elles sont différentes grâce à l’espace : si deux états d’une même chose existent

  1. P. 177,5e éd., P. 219.
  2. P. 183,5e éd., P. 226.