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le monde comme volonté et comme représentation

conformer à la symétrie architectonique qui, ici encore, lui sert de fil directeur. Par analogie avec l’Organon d’Aristote, il fait une « topique transcendantale » : cette topique consiste en ceci : l’on doit examiner chaque concept d’après quatre points de vue différents, afin de pouvoir décider à quelle faculté cognitive il ressortit. Ces quatre points de vue sont choisis d’une manière tout à fait arbitraire, et l’on pourrait sans aucun inconvénient en ajouter encore dix autres : mais le nombre quatre a l’avantage de correspondre aux rubriques des catégories, et par suite, les théories principales de Leibniz se trouvent bon gré mal gré réparties sous quatre rubriques différentes. Par cette critique Kant catalogue, pour ainsi dire, sous l’étiquette « erreurs naturelles de la raison » les fausses abstractions, introduites par Leibniz ; (celui-ci en effet, au lieu d’étudier à l’école des grands philosophes de son temps, Spinoza et Locke, préféra nous servir les inventions bizarres dont il était l’auteur). Dans le chapitre de l’Amphibolie de la réflexion, Kant dit enfin que si par hasard il existait une sorte d’intuition différente de la nôtre, néanmoins nos catégories seraient encore applicables à cette intuition : les objets de cette intuition supposée, ajoute-t-il, pourraient être les noumènes, mais les noumènes sont des choses que nous devons nous borner à penser ; or puisque l’intuition, seule capable de donner un sens à une telle pensée, n’est point à notre portée, puisque même elle est tout à fait problématique, l’objet de cette pensée n’est lui-même qu’une possibilité complètement indéterminée. Plus haut j’ai montré, en citant des textes, que Kant, au prix d’une grave contradiction, représente les catégories tantôt comme une condition de la représentation intuitive, tantôt comme une fonction de la pensée purement abstraite. À l’endroit qui nous occupe, les catégories nous sont résolument présentées sous ce dernier aspect, et l’on se trouve fort tenté de croire que Kant veut seulement leur attribuer une pensée discursive. Mais si telle est réellement son opinion, il aurait fallu de toute nécessité que dès le début de la Logique transcendantale, avant de spécifier si minutieusement les différentes fonctions de la pensée, il caractérisât la pensée d’une manière générale ; il aurait fallu, par suite, qu’il la distinguât de l’intuition, qu’il montrât quelle connaissance procure l’intuition et enfin quelle connaissance nouvelle vient s’ajouter à la première par le fait de la pensée. Alors on aurait su de quoi il parle ; disons mieux il aurait parlé d’une manière toute autre, traitant en premier lieu de l’intuition, puis ensuite de la pensée ; il n’aurait pas spéculé sans cesse, comme il le fait, sur un intermédiaire entre l’intuition et la pensée, intermédiaire qui est un non-sens. Alors non plus, il n’y aurait pas eu cette grande lacune entre l’Esthétique transcendantale et la Logique transcendantale :