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critique de la philosophie kantienne

prédicat et une copule, cette dernière affirmative ou négative ; toutefois il peut se faire qu’il n’y ait pas de mot spécial pour désigner chacun de ces éléments ; d’ailleurs il en est le plus souvent ainsi. Souvent il n’y a qu’un mot pour désigner le prédicat et la copule ; ex. : « Caïus vieillit ». Quelquefois il n’y a qu’un mot pour désigner les trois éléments ; ex. : concurritur, c’est-à-dire : « les armées en viennent aux mains », « les armées — deviennent — étant aux prises ». Cela confirme ce que je disais tout à l’heure : ce n’est point directement ni immédiatement dans les mots qu’il faut chercher les formes de la pensée, ce n’est pas même dans les parties du discours : en effet, le même jugement dans des langues différentes et même dans la même langue, peut être exprimé par des mots différents et même par des parties du discours différentes, bien que la pensée reste la même et que par suite sa forme ne change pas ; car la pensée ne pourrait être la même, si la forme de pensée devenait différente. Quant à la tournure grammaticale, elle peut parfaitement être différente, tout en exprimant la même pensée, sous la même forme de pensée : la tournure grammaticale n’est en effet que le vêtement extérieur de la pensée ; la pensée au contraire est inséparable de la forme. Ainsi, des formes de la pensée, la grammaire n’étudie que le vêtement. Les parties du discours se déduisent des formes de la pensée primordiales, indépendantes de toute langue particulière : exprimer les formes de la pensée avec toutes les modifications qu’elles comportent, telle est leur destination. Elles sont l’instrument des formes de la pensée, elles en sont le vêtement, vêtement si exactement ajusté que l’on peut, sous les parties du discours, reconnaître les formes de la pensée.

3. — Ces formes réelles, inaltérables, primordiales de la pensée, sont exactement celles que Kant énumère dans le Tableau logique des jugements : pourtant, ici encore, il convient de négliger toutes les fausses fenêtres que Kant a dessinées, par amour de la symétrie, par analogie avec le tableau des catégories ; ajoutons encore que l’ordre de son tableau ne vaut rien. Quant à moi, voici comment je dresserais la liste :

a.Qualité : Affirmation ou négation, c’est-à-dire liaison ou séparation des concepts : deux formes. La qualité dépend de la copule.

b.Quantité : Le concept-sujet est considéré en tout ou en partie : totalité ou pluralité. À la première classe appartiennent également les jugements dont les sujets sont des individus : qui dit « Socrate » veut dire « tous les Socrate ». La quantité n’a donc que deux formes. Elle dépend du sujet.

c.Modalité : elle a trois formes. Elle détermine la qualité, à titre de chose nécessaire, réelle ou contingente. Par conséquent elle dépend de la copule.