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critique de la philosophie kantienne

représentations une place dans l’espace et dans le temps. Ainsi le principe de raison, cette forme de connaissance, d’où Kant avait déduit simplement les Idées cosmologiques, était en même temps l’origine de toutes les autres entités sophistiques ; il n’y avait donc point de sophisme à commettre pour arriver au but que Kant s’était assigné ici. Mais en revanche et pour la même raison, il est amené à en commettre de très graves, lorsqu’il s’agit de faire une classification des Idées d’après les quatre rubriques des catégories.

1. — Pour les Idées cosmologiques se rapportant à l’espace et au temps, c’est-à-dire aux limites du monde dans l’espace et dans le temps, Kant déclare imperturbablement qu’elles sont déterminées par la catégorie de la quantité ; or elles n’ont rien de commun avec cette catégorie, si ce n’est que, en logique, dans la théorie du jugement, l’on a donné par hasard à l’extension du concept-sujet le nom de quantité, nom tout conventionnel d’ailleurs et que l’on aurait pu parfaitement remplacer par un autre. Mais, dans son amour de la symétrie, Kant n’hésite pas à exploiter ce hasard heureux, cette similitude de noms, qui leur permet de rattacher à la catégorie de la quantité les dogmes transcendants sur l’étendue du monde.

2. — Plus témérairement encore, Kant rattache à la catégorie de la qualité, c’est-à-dire à la théorie des jugements affirmatifs et négatifs, les Idées transcendantes sur la matière ; ici pourtant il ne peut plus invoquer une analogie fortuite de dénomination ; car c’est à la quantité, non point à la qualité de la matière que se rapporte sa divisibilité mécanique (il n’y a pas à parler ici de divisibilité chimique). Mais — chose plus grave encore — cette Idée de la divisibilité ne peut nullement être comptée parmi les conséquences du principe de raison ; or c’est de ce principe, considéré comme contenu de la forme hypothétique, que doivent découler toutes les Idées cosmologiques. Voici l’affirmation sur laquelle s’appuie Kant : le rapport des parties au tout est un rapport de condition à conditionné, autrement dit un rapport conforme au principe de raison. Cette affirmation est un sophisme aussi vain que subtil. Le rapport des parties au tout s’appuie purement et simplement sur le principe de contradiction. Le tout n’est point conditionné par les parties ni réciproquement ; tous deux sont solidairement nécessaires, car ils ne sont qu’un et on ne les sépare que par un acte arbitraire. De là résulte, d’après le principe de contradiction, la vérité suivante : faire abstraction des parties, c’est en même temps faire abstraction du tout et réciproquement ; mais, s’il en est ainsi, ce n’est pas à dire que les parties conditionnent le tout, ni que les parties soient la raison du tout, ni le tout la conséquence des parties ; il ne faut pas nous figurer que nous soyons, d’après le principe de raison, nécessairement induits à étudier les parties pour comprendre le