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le monde comme volonté et comme représentation

tendant à une fin qui les attire, mais comme poussés par une énergie invisible.

À cet effet, commençons par passer en revue l’innombrable série des animaux. Considérons l’infinie diversité de leurs formes, les modifications incessantes qu’elles subissent pour s’approprier au milieu, à la manière de vivre de chacun ; contemplons en même temps l’art inimitable et également parfait dans tous les individus qui préside à leur structure et à leur mécanisme, enfin la dépense incroyable de force, d’adresse, de prudence et d’activité que chaque animal, sa vie durant, est condamné à faire sans repos. Allons plus loin maintenant : représentons-nous le zèle infatigable des misérables petites fourmis, regardons ce fossoyeur (Necrophorus Vespillo) enterrer à lui seul en deux jours le cadavre d’une taupe quarante fois plus grosse que lui, pour y déposer ses œufs et assurer la nourriture de la future génération (Gleditsch, Phys. Bot. Econ., dissertation III, 220) ; songeons qu’en général la vie de la plupart des insectes n’est qu’un perpétuel travail, pour préparer les aliments et la demeure des larves qui naîtront plus tard de leurs œufs, et qu’ensuite ces larves, après avoir dévoré ces aliments et s’être transformées en chrysalides, entrent dans la vie, pour recommencer sur nouveaux frais la même besogne. Disons-nous que de même la vie des oiseaux se passe en grande partie à opérer leurs longues et pénibles migrations, puis à bâtir leur nid, à apporter la nourriture à leurs poussins, destinés eux-mêmes, l’année suivante, à jouer le même rôle ; qu’ainsi tout travaille toujours pour un avenir qui fait ensuite défaut, et pourrons-nous nous empêcher de chercher des yeux la récompense de tout cet art et de toute cette peine, le but dont l’image présente aux yeux des animaux les pousse à cette agitation incessante ; pouvons-nous en un mot nous empêcher de demander : Quel est le résultat de tout cela ? Quelle est la fin réalisée par l’existence animale qui demande toutes ces dispositions à perte de vue ? — On ne peut rien nous montrer que la satisfaction de la faim et de l’instinct sexuel, et peut-être encore un court moment de bien-être, comme il est donné à tout animal d’en obtenir en partage, au milieu de ses misères et de ses efforts infinis. Si l’on met en regard d’une part l’ingéniosité inexprimable de la mise en œuvre, la richesse indicible des moyens, et de l’autre, la pauvreté du résultat poursuivi et obtenu, on ne peut se refuser à admettre que la vie est une affaire, dont le revenu est loin de couvrir les frais. C’est ce qui est surtout évident chez certains animaux dont l’existence est particulièrement simple. Considérons par exemple la taupe, cette ouvrière infatigable. Creuser avec difficulté au moyen de ses pattes énormes en forme de palettes, telle est l’occupation de toute sa vie ; une nuit constante l’environne ;