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CHAPITRE XXXIX[1]
DE LA MÉTAPHYSIQUE ET DE LA MUSIQUE


Dans le passage ci-dessous indiqué du premier volume et que le lecteur a encore présent à l’esprit, j’ai expliqué la signification véritable de cet art merveilleux. J’étais arrivé à ce résultat qu’entre les productions musicales et le monde comme représentation, c’est-à-dire la nature, il devait y avoir non pas une ressemblance, mais un parallélisme manifeste, et je l’avais ensuite démontré. J’ai à ajouter ici, à cet égard, quelques considérations plus précises et dignes de remarques. — Les quatre voix de toute harmonie, savoir la basse, le ténor, l’alto et le soprano, ou ton fondamental, tierce, quinte et octave, correspondent aux quatre degrés de l’échelle des êtres, c’est-à-dire au règne minéral, au règne végétal, au règne animal et à l’homme. Cette analogie reçoit une confirmation frappante de cette règle fondamentale de la musique, qu’un écart bien plus grand doit exister entre la basse et les trois voix supérieures qu’entre ces voix elles-mêmes ; la basse ne peut s’en rapprocher de plus d’une octave, mais presque toujours elle demeure encore bien au-dessous, ce qui place l’accord parfait de trois sons dans la troisième octave à partir du ton fondamental. Il s’ensuit que l’effet de l’harmonie large, ou la basse reste éloignée, est bien plus puissant et plus beau que celui de l’harmonie étroite, où elle est plus proche, et dont l’emploi n’est dû qu’au peu d’étendue des instruments. Toute cette règle, loin d’être arbitraire, a son principe dans l’origine naturelle du système musical, car les premiers harmoniques produits par les vibrations concomitantes sont l’octave et sa quinte. Or, dans cette règle nous reconnaissons l’analogue musical de cette propriété fondamentale de la nature en vertu de laquelle la parenté est plus intime entre les différents êtres organisés qu’entre ces êtres et l’ensemble inanimé, inorganique du règne minéral : l’organique et l’inorganique sont séparés par la limite la plus tranchée, par l’abîme le plus large qu’on rencontre dans toute la nature. — La voix haute, qui chante la mélodie, fait cependant partie intégrante de l’harmonie et se rattache ainsi à la basse fondamentale la plus profonde ; c’est là l’analogue musical du fait par lequel la même

  1. Ce chapitre se rapport au § 52 du premier volume.