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de la métaphysique et de la musique

matière qui, dans un organisme humain, est le support de l’idée de l’homme, doit en même temps représenter et soutenir encore les idées de la pesanteur et des propriétés chimiques, c’est-à-dire des degrés les plus bas de l’objectivation du vouloir.

La musique n’est pas, comme tous les autres arts, une manifestation des idées ou degrés d’objectivation du vouloir, mais l’expression directe de la volonté elle-même. De là provient l’action immédiate exercée par elle sur la volonté, c’est-à-dire sur les sentiments, les passions et les émotions de l’auditeur, qu’elle n’a pas de peine à exalter ou à transformer.

S’il est établi que la musique, bien loin d’être un simple auxiliaire de la poésie, est un art indépendant, le plus puissant même de tous les arts, capable ainsi d’atteindre son but par ses propres ressources, il n’est pas moins certain qu’elle n’a pas besoin des paroles d’un poème ou de l’action d’un opéra. La musique en tant que musique ne connaît que les sons, et non les causes qui les provoquent. Pour elle la voix humaine n’est elle-même à l’origine et par essence qu’un son modifié, comme celui d’un instrument, et offre, comme tout autre son, les avantages et les inconvénients particuliers attachés à la nature de l’instrument qui le produit. Si, dans le cas actuel, ce même instrument sert d’autre part, en tant qu’organe de la parole, à la communication des idées, c’est là une circonstance fortuite ; la musique peut sans doute en profiter accessoirement, pour contracter alliance avec la poésie, mais jamais il ne lui est permis d’en faire la chose principale, jamais elle ne doit donner tous ses soins à rendre le sens des vers, presque toujours et toujours même, ainsi que Diderot le donne à entendre dans le Neveu de Rameau, insipides par nature. Les paroles ne sont et ne demeurent pour la musique qu’une addition étrangère d’une valeur secondaire, car l’effet des sons est incomparablement plus puissant, plus infaillible et plus rapide que celui des paroles : incorporées à la musique, celles-ci ne doivent y occuper jamais qu’une place très peu importante et se plier à toutes les exigences des sons. Le rapport est inverse quand il s’agit d’une poésie donnée, c’est-à-dire d’un chant, d’un livret d’opéra, auquel on adapte une musique ; car l’art musical ne tarde pas à y montrer ses ressources et sa puissance supérieures : la musique nous fait aussitôt pénétrer jusqu’au fond dernier et caché du sentiment exprimé par les mots ou de l’action représentée dans l’opéra, elle en dévoile la nature propre et véritable, elle nous découvre l’âme même des événements et des faits, dont la scène ne nous offre que l’enveloppe et le corps. En raison de cette prépondérance de la musique, et puisqu’elle est au texte et à l’action dans le rapport du général au particulier, de la règle à l’exemple, il pourrait sembler bien plus convenable de composer le