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le monde comme volonté et comme représentation

soumis à des déterminations multiples, n’a qu’une action secondaire et conditionnelle.

À ce trouble, à cet obscurcissement de la connaissance par la volonté ne correspond pas une perturbation immédiate de celle-ci par celle-là : nous ne pouvons même pas nous faire une idée d’une telle perturbation. Personne ne verra une action de ce genre dans ce fait que des motifs faussement conçus égarent la volonté ; car c’est là un défaut de l’intellect, un vice dans sa propre fonction, défaut commis sur son propre domaine et dont l’influence sur la volonté est absolument médiate. À première vue, on pourrait rapporter l’indécision à ce trouble de la volonté par l’intellect, et soutenir que le conflit des motifs, présentés à la volonté par l’intellect, la réduit au repos, c’est-à-dire en entrave l’activité. Mais un examen plus approfondi nous montrera que la cause de cet arrêt ne se trouve pas dans l’activité de l’intellect en tant que tel, mais uniquement dans les objets extérieurs dont il est le médiateur et le véhicule : ces objets ont à la volonté un rapport tel qu’ils la tirent avec une force égale dans des directions opposées : c’est là la cause véritable, et l’intellect, centre des motifs, est uniquement le point d’où elle rayonne, à la condition bien entendu qu’il soit assez perspicace pour saisir exactement les objets et leurs relations multiples. L’irrésolution, comme trait de caractère, est au moins autant déterminée par des qualités volontaires que par des qualités intellectuelles. Sans doute elle n’est pas propre aux esprits très bornés ; car leur faible entendement ne leur permet pas de découvrir aux choses des qualités et des rapports si multiples ; il est incapable de l’effort nécessaire pour y réfléchir ainsi que pour calculer les suites probables de chaque démarche, si bien qu’ils préfèrent se décider conformément à leur première impression à une maxime de conduite quelconque simple et facile. Le contraire a lieu chez les gens doués d’un entendement remarquable : aussi dès qu’à cette perspicacité intellectuelle vient s’ajouter la tendre préoccupation de leur propre bien, c’est-à-dire un égoïsme très sensible qui tient à ne jamais perdre ses droits tout en se dissimulant sans cesse, dès lors s’accuse à chaque pas une timidité pleine d’angoisses qui a pour conséquence l’irrésolution. Cette qualité ne témoigne donc nullement d’un manque d’intelligence, mais d’un manque de courage. D’autre part, il est des cerveaux très éminents qui remarquent les diverses circonstances et leur évolution vraisemblable avec une promptitude et une sûreté admirables ; aussi, pour peu qu’ils soient soutenus par quelque courage, arrivent-ils à cette promptitude et à cette fermeté de décision qui les rend capables, le cas échéant, de jouer dans les affaires de ce monde un rôle important.

Il n’y a guère qu’un cas bien tranché où la volonté subisse de la