Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à de tout jeunes gens, et jamais aux hommes qui se trouvent dans la force de l’âge. Chez les Grecs aussi, où l’exemple et la coutume peuvent avoir introduit de-ci de-là quelque exception à la règle, les auteurs, les philosophes surtout, Platon et Aristote notamment, nous représentent expressément l’amant comme presque toujours vieux. Notons en particulier à cet égard un passage de Plutarque ; dans le Liber amatorius, c. V : Ο παιδικος ερως, οψε γεγονως, και παρ ωραν τω βιω, νοθος και σκοτιος, εξελαυνει τον γνησιον ερωτα και πρεσϐυτερον. (Puerorum amor, qui, quum tarde in vita et intempestive, quasi spurius et occultus, existisset, germanum et natu majorem amorem expellit). Parmi les dieux mêmes nous ne trouvons que les vieux, Zeus et Hercule, pourvus de mignons ; Mars, Apollon, Bacchus n’en ont pas. — Cependant, dans l’Orient, le manque de femmes dû à la polygamie peut produire parfois des exceptions forcées à la règle, et de même aussi dans des colonies encore nouvelles et par là dépourvues de femmes, telles que la Californie, etc. — Poursuivons nos déductions : puisque le sperme non mûr encore, comme celui que l’âge a gâté, ne peut produire que des êtres faibles, imparfaits et misérables, on rencontre souvent, dans l’adolescence, entre jeunes gens le même penchant érotique que dans la vieillesse ; mais il ne conduit que bien rarement au vice réel, combattu qu’il est alors, outre les motifs cités plus haut, par l’innocence, la pureté, la conscience et la pudeur du jeune âge.

De cet exposé il résulte qu’en apparence contraire aux fins de la nature, et cela dans ce qu’elle a de plus important et de plus cher, le vice en question doit en réalité servir ces mêmes fins, quoique d’une façon seulement indirecte, comme moyen préventif contre des maux plus grands. Il est le résultat, en effet, d’une faculté génitale sur son déclin ou trop peu formée encore, qui, dans les deux cas, est un danger pour l’espèce. Sans doute, dans ces deux cas, des raisons morales auraient dû provoquer un arrêt dans la fonction, mais il n’y avait pas à compter là-dessus, car la nature ne tient généralement pas compte dans sa conduite de l’élément purement moral. Aussi, jetée dans l’embarras en conséquence de ses propres lois, la nature a demandé à la perversion de l’instinct un expédient, un stratagème : oui, pourrait-on dire, elle s’est construit un pont aux ânes, pour échapper, comme je l’ai exposé plus haut, au plus grand de deux maux. Elle a l’œil fixé sur l’objet important, qui est de prévenir les générations imparfaites, capables par la suite de dépraver peu à peu l’espèce entière, et en cela, nous l’avons vu, elle n’est pas scrupuleuse dans le choix des moyens. L’esprit dans lequel elle procède ici est le même qui lui faisait pousser les guêpes, comme je l’ai rapporté plus haut au chapitre xxvii, à tuer leurs petits de leur aiguillon : car dans les deux cas elle saisit