Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/423

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Médiateur. Il est facile même de voir que, sans ces suppositions, le christianisme devrait instituer des peines éternelles, le brahmanisme des renaissances sans fin pour tous, et qu’ainsi dans les deux religions il n’y aurait aucune voie de salut. Les œuvres criminelles et leurs conséquences doivent être un jour effacées et anéanties soit par une grâce étrangère, soit par l’accès d’une connaissance propre corrigée ; sinon, il n’y a pas de délivrance à espérer pour le monde : après cela elles deviennent indifférentes. C’est là aussi la μετανοια και αφεσις αμαρτιων, que le Christ déjà ressuscité charge enfin ses apôtres de publier, et dont il fait la substance de leur mission (Luc, XXIV, 47). Les vertus morales ne sont pas le but dernier, mais seulement un degré qui y conduit. Ce degré, le mythe chrétien l’indique par le fait de cueillir des fruits à l’arbre de la science du bien et du mal, fait qui crée la responsabilité morale en même temps que le péché originel. Ce péché lui-même est en réalité l’affirmation du vouloir-vivre ; la négation du vouloir-vivre, au contraire, à la suite de l’épanouissement d’une connaissance plus éclairée, est la rédemption. C’est donc entre ces deux points que se trouve l’élément moral : il accompagne l’homme comme une lumière placée sur sa route de l’affirmation à la négation du vouloir-vivre, ou, allégoriquement, depuis le moment du péché originel jusqu’à la délivrance par la foi en la médiation du Dieu qui a pris corps (avatar) ; ou encore, selon la doctrine védique, à travers la suite des renaissances, conséquences de nos œuvres successives, jusqu’à ce qu’apparaisse la connaissance droite, et avec elle le salut, jusqu’à ce que se réalise le Mokscha, c’est-à-dire la réunion définitive avec Brahma. Quant aux bouddhistes, ils désignent la chose, en toute franchise, par une pure négation, par le nom de Nirwana, qui est la négation de ce monde ou Sansara. Définir Nirwana le néant revient seulement à dire que le Sansara ne contient pas un seul élément qui pourrait servir à la définition ou à la construction du Nirwana. Aussi les Jainas, différents des bouddhistes par le nom seul, appellent-ils les brahmanes qui croient aux Védas des Sabdapramanes, sobriquet destiné à marquer qu’ils croient par ouï-dire ce qui ne peut ni se savoir ni se démontrer. (Asiat. Researches, vol. VI, p. 474.)

Nombre d’anciens philosophes, tels qu’Orphée, les Pythagoriciens, Platon (par exemple dans le Phédon, p. 151, 183 et suiv., Bip. ; voir aussi Clém. Alex., Strom., III, p. 400 et suiv.), déplorent tout autant que l’apôtre saint Paul l’union de l’âme et du corps, et souhaitent de s’en affranchir. Nous comprenons le sens propre et véritable de ces plaintes, pour avoir reconnu, dans le deuxième livre, que le corps est la volonté même, considérée objectivement et sous forme de phénomène réalisé dans l’espace.