Page:Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation, Burdeau, tome 3, 1909.djvu/443

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voir Cicéron (Pro Cluentio, c. lxi) et Salluste (Catil., c. xlvii) parler de notre condition après la mort. Très avancés sur presque tous les autres points, les anciens, en cette matière capitale, étaient demeurés des enfants, même inférieurs aux Druides, qui professaient au moins la métempsycose. Qu’un ou deux philosophes, tels que Pythagore et Platon, aient pensé autrement, c’est ce qui ne change rien à l’ensemble.

Ainsi donc la vérité la plus importante sans comparaison qu’il puisse y avoir est celle que renferme le christianisme, comme le brahmanisme et le bouddhisme, celle qui enseigne la nécessité pour nous d’être rachetés d’une existence vouée à la souffrance et à la mort, et la possibilité d’y parvenir par la négation du vouloir, c’est-à-dire par une opposition décisive à la nature. Mais cette vérité est contraire en même temps à la tendance naturelle de la race humaine et difficile à saisir d’après ses vrais principes, comme d’ailleurs toute conception purement générale et abstraite est entièrement inaccessible à la grande majorité des hommes. Aussi, pour introduire cette vérité dans le domaine de l’application pratique, a-t-il toujours fallu un véhicule mythique, sorte de récipient, sans lequel elle se perdrait et se volatiliserait. La vérité a donc dû emprunter partout le vêtement de la fable et s’efforcer de se rattacher à un fait historique chaque fois déjà connu et déjà respecté. Ce qui resterait inaccessible aux sentiments bas, à la grossièreté intellectuelle et en général à la brutalité de toute grande masse en tout temps, en tout lieu, présenté sensu proprio, doit lui être inculqué, dans une vue pratique, sensu allegorico, pour devenir ensuite l’astre qui éclaire sa marche. Ainsi donc les religions nommées plus haut doivent être tenues pour les vases sacrés dans lesquels la grande vérité reconnue et énoncée depuis des milliers d’années, peut-être même depuis le début de l’humanité, mais qui ne cesse, pour la masse de l’humanité, de demeurer en soi-même une doctrine mystérieuse, a été appropriée à la mesure de ses forces, conservée et transmise à travers les siècles. Mais tout ce qui n’est pas entièrement composé des éléments indestructibles de la pure vérité est menacé de ruine ; toutes les fois donc qu’un tel vase, par le contact d’une époque qui lui est hétérogène, est exposé à la destruction, il faut en sauver de quelque manière le contenu sacré, le confier à un nouveau récipient et le conserver à l’humanité. Ce contenu ne fait qu’un avec la pure vérité : aussi la philosophie a-t-elle la tâche de le représenter entier, sans mélange, par de simples concepts abstraits, et par suite sans ce véhicule pour le nombre toujours très restreint des hommes capables de penser. Ainsi elle est aux religions ce qu’une ligne droite unique est à plusieurs lignes courbes qui courent à côté d’elle, car elle exprime