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le monde comme volonté et comme représentation

l’âge, par les différences que présente la construction anatomique, que l’intellect, étant de nature secondaire, dépend d’un organe particulier, du cerveau, dont il est la fonction, comme l’action de palper est la fonction de la main ; qu’il est par conséquent physique comme la digestion, et non métaphysique comme la volonté. De même qu’une bonne digestion demande un estomac sain et vigoureux, une force athlétique des bras musculeux et nerveux, de même une intelligence extraordinaire veut un cerveau extraordinairement développé, bien construit, d’une anatomie remarquable, et vivifié par des pulsations énergiques. La nature de la volonté au contraire ne dépend d’aucun organe, ne peut être pronostiquée d’après aucun organe. La plus grande erreur de la théorie crânienne de Gall est d’avoir assigné même aux qualités morales des organes encéphaliques. Des lésions de la tête, avec perte de substance cérébrale, exercent généralement sur l’intellect une influence préjudiciable ; elles entraînent l’idiotie entière ou partielle, l’oubli définitif ou momentané de la parole. Le plus souvent, pourtant, de plusieurs langues qu’on connaît également on n’en oublie qu’une ou encore on perd le souvenir des noms propres. Ces lésions peuvent produire aussi la perte d’autres connaissances que nous possédions. Nous n’avons jamais appris au contraire qu’après un accident de cette nature le caractère ait subi une transformation, que l’homme soit devenu moralement meilleur ou plus mauvais, qu’il ait perdu certaines inclinations ou passions et qu’il en ait adopté d’autres ; de telles modifications ne se produisent jamais. Car la volonté n’a pas son siège dans le cerveau, et d’ailleurs, en tant qu’élément métaphysique, elle est le prius du cerveau ainsi que du reste de l’organisme les lésions du cerveau ne peuvent donc pas l’entamer. — D’après une expérience faite par Spallanzani[1] et renouvelée par Voltaire, un colimaçon, auquel on a coupé la tête, reste vivant, et au bout de quelques semaines une nouvelle tête lui pousse ainsi que des tentacules ; avec ces organes reparaissent la conscience et la représentation, tandis que jusque ce moment l’animal ne manifestait dans ses mouvements sans règle qu’une volonté aveugle. Ici encore nous trouvons donc la volonté comme la substance qui demeure, l’intellect, déterminé par son organe, comme l’accident qui change. L’intellect peut être désigné sous le nom de régulateur de la volonté.

Tiedemann est peut-être le premier qui ait comparé le système nerveux cérébral à un parasite. (Tiedemann et Treviranus, Journal de physiologie, t. I, p. 62.) La comparaison est frappante, en ce

  1. Spallanzani, Risultati di experienze sopra la riproduzione della teste nelle lumache terrestri ; dans les Memorie di matematica e fisica della Società italiana, t. 1, p. 581. — Voltaire, les Colimaçons du révérend père l’Escarbolier.