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le monde comme volonté et comme représentation

tous les mouvements et actions d’enfants nés sans cerveau. Toutes les crampes sont une rébellion des nerfs des membres contre la souveraineté du cerveau ; les réflexes normaux, au contraire, sont la part légitime d’initiative d’employés subordonnés. Tous ces mouvements sont donc involontaires, parce qu’ils n’émanent pas du cerveau, qu’au lieu de suivre des motifs ils suivent de simples excitations. Les excitations qui les causent n’arrivent que jusqu’à la moelle épinière, ou la moelle allongée, et là s’opère immédiatement la réaction qui occasionne le mouvement. Ce que le cerveau est au motif et à l’action, la moelle épinière l’est à ces mouvements involontaires ; ce que le nerf sensitif et volontaire est pour les premiers, le nerf incident et moteur l’est pour les seconds. Mais dans l’un et l’autre cas ce qui meut proprement, c’est la volonté : et cela est d’autant plus évident que les muscles involontairement mus sont pour la plupart identiques à ceux qui, en d’autres occasions, reçoivent leur mouvement du cerveau, à savoir dans les actes volontaires, où le primum mobile de ces muscles nous est révélé comme volonté par la conscience. L’excellent ouvrage de Marshal Hall, On the diseases of the nervous system, est tout à fait propre à mettre en pleine lumière la différence entre la volonté réfléchie et la volonté (Willkür und Wille) et à confirmer la vérité de ma théorie fondamentale.

Pour nous représenter sous une forme concrète tout ce que je viens de dire, considérons la naissance d’un organisme très accessible à notre observation. Qu’est-ce qui produit le poussin dans l’œuf ? Serait-ce un pouvoir, un art venant du dehors et pénétrant à travers l’enveloppe ? Oh non ! le poussin se fait lui-même, et la force même qui produit et achève cette œuvre complexe au delà de toute expression, d’une conception et d’une harmonie admirables, fait éclater l’enveloppe, une fois que l’élaboration est terminée, et dorénavant, sous le nom de volonté, accomplit les actions extérieures du poussin. La volonté ne pouvait pas faire les deux choses à la fois : tout d’abord occupée à l’élaboration de l’organisme, elle n’avait aucune préoccupation du côté du dehors. L’organisme achevé, cette préoccupation apparaît, sous la direction du cerveau et des sens, ses antennes ; le cerveau est un instrument antérieurement préparé en vue de cette fin, et dont le service ne commence que lorsqu’il s’éveille à la conscience de soi comme intellect ; car l’intellect est la lanterne qui éclaire les pas de la volonté, c’en est l’ηγεμονικον et en même temps le porteur du monde objectif, si restreint que soit l’horizon de ce dernier dans la conscience d’une poule. Mais ce que fait la poule, au sein du monde extérieur, par l’intermédiaire du cerveau, est infiniment moins considérable que ce qu’elle faisait à l’état primitif, alors qu’elle se produisait elle--