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vue objective de l’intellect

térieur, la moelle de l’arbre aussi bien que son écorce, le cœur de l’animal aussi bien que sa peau, et le jaune de l’œuf aussi bien que son enveloppe. Au contraire, en suivant la voie subjective, l’intérieur nous est accessible à tout moment. Nous le trouvons d’abord comme volonté en nous-mêmes, et en prenant comme fil conducteur l’analogie des autres êtres avec le nôtre, nous arrivons à les déchiffrer, étant parvenus à cette conviction que l’être en soi, indépendamment de la connaissance, c’est-à-dire de la représentation dans un intellect, ne saurait être conçu que comme volonté.

Si, dans cette méthode régressive d’envisager objectivement l’intellect, nous poussons le plus loin possible, nous trouverons que la nécessité, ou le besoin de la connaissance en général, naît de la pluralité et de l’existence séparée des êtres, c’est-à-dire de l’individuation. Car supposons qu’il n’y ait qu’un seul être ; une telle connaissance ne sera pas nécessaire, puisqu’il n’y a rien qui diffère de cet être même et dont l’existence doive passer médiatement en lui par la connaissance, c’est-à-dire par l’image et le concept. Cet être unique serait lui-même le tout dans le tout, conséquemment il ne lui resterait rien à connaître, je veux dire rien d’étranger qui puisse être saisi par lui comme objet. Avec la pluralité des êtres, au contraire, chaque individu se trouve isolé de tous les autres, et de là naît la nécessité de la connaissance. Le système nerveux, au moyen duquel l’individu animal prend d’abord conscience de lui-même, est limité par la peau : mais ce système s’élevant dans le cerveau jusqu’à devenir intellect franchit cette limite au moyen de la forme de causalité, et ainsi naît en lui l’intuition, comme la conscience des choses autres, comme une image des êtres situés dans l’espace et le temps, et qui se modifient conformément à la loi de cause.

En ce sens, dire « le différent seulement est connu du différent » serait plus juste que de répéter avec Empédocle : « Le semblable seulement est connu du semblable », proposition vague et équivoque, bien qu’à certains points de vue elle soit vraie : tel le point de vue où se place Helvétius, quand il fait cette remarque aussi juste que belle : « Il n’y a que l’esprit qui sente l’esprit : c’est une corde qui ne frémit qu’à l’unisson », observation qui concorde avec le σοφον ειναι δει τον επιγνωσομενον τον σοφον (sapientem oportet esse eum qui sapientem agniturus sit) de Xénophane, et qui est d’une vérité navrante. — D’autre part, nous savons qu’inversement la pluralité du semblable n’est possible que par l’espace et le temps, c’est-à-dire par les formes de notre connaissance. L’espace naît alors seulement que le sujet connaissant regarde au dehors : il est la façon dont le sujet saisit quelque chose comme différent de lui--