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le monde comme volonté et comme représentation

même. Or, à l’instant même, nous avons vu que la connaissance en général est conditionnée par la pluralité et la diversité. La connaissance et la pluralité ou individuation se tiennent donc étroitement et disparaissent l’une avec l’autre, chacune étant la condition réciproque de l’autre. D’où il faut conclure qu’au de la du phénomène, dans l’essence en soi de toutes choses, à laquelle l’espace et le temps et avec eux la pluralité sont nécessairement étrangers, il n’y a pas non plus de connaissance. C’est ce que le bouddhisme désigne sous le nom de Pratschna Paramita, c’est-à-dire comme au delà de toute connaissance. (J.-J. Schmidt, Sur le Maha Jana et le Pratschna Paramita.) Une « connaissance de choses en soi », au sens rigoureux du terme, serait déjà impossible pour cette raison que la connaissance s’évanouit, là où commence l’essence en soi des choses, et que toute connaissance est limitée par essence à des phénomènes. Car elle naît d’une limitation, qui la rend nécessaire, afin de reculer les bornes.

Pour la considération objective, le cerveau est l’efflorescence de l’organisme ; aussi n’apparaît-il dans tout son développement que lorsque celui-ci a atteint son plus haut degré de perfection et de complexité. Mais nous avons vu dans le chapitre précédent que l’organisme est l’objectivation de la volonté : le cerveau doit donc, comme en étant une partie, rentrer également dans cette objectivation. Ensuite, de ce fait que l’organisme n’est que la manifestation visible de la volonté, c’est-à-dire en soi cette volonté même, j’ai conclu que toute affection de l’organisme affecte en même temps et immédiatement la volonté, c’est-à-dire est éprouvée douloureusement ou agréablement. Toutefois, à mesure que la sensibilité s’accroît grâce à un développement plus avancé du système nerveux, il arrive que dans les organes des sens plus nobles, c’est-à-dire objectifs (vue, ouïe), les affections très douces qui y sont proportionnées soient éprouvées, sans qu’en elles-mêmes et immédiatement elles affectent la volonté, c’est-à-dire sans qu’elles soient douloureuses ou agréables, conséquemment qu’elles entrent dans la conscience comme des sensations simplement perçues et indifférentes en elles-mêmes. Dans le cerveau ce développement de la sensibilité est poussé à un tel point, qu’il se produit même une réaction après des impressions sensibles reçues, réaction qui ne part pas immédiatement de la volonté, mais qui est au premier chef un acte spontané de la fonction de l’entendement. Cette dernière opère le passage de l’impression sensible immédiatement perçue à sa cause, et comme dans cette opération le cerveau crée également la forme de l’espace, ainsi naît l’intuition d’un objet extérieur. Le point donc où, de l’impression reçue sur la rétine, impression qui n’est encore qu’une simple affection du corps et