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Page:Schopenhauer - Pensées et Fragments, 1900, trad. Bourdeau.djvu/146

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les classes élevées de la société, pauvres créatures soumises à de rudes et pénibles travaux, dans les rangs inférieurs. Ou bien encore elles deviennent de misérables prostituées, traînant une vie honteuse et amenées par la force des choses à former une sorte de classe publique et reconnue, dont le but spécial est de préserver des dangers de la séduction les heureuses femmes qui ont trouvé des maris ou qui en peuvent espérer. Dans la seule ville de Londres, il y a 80,000 filles publiques : vraies victimes de la monogamie, cruellement immolées sur l’autel du mariage. Toutes ces malheureuses sont la compensation inévitable de la dame européenne, avec son arrogance et ses prétentions. Aussi la polygamie est-elle un véritable bienfait pour les femmes considérées dans leur ensemble. De plus, au point de vue rationnel, on ne voit pas pourquoi, lorsqu’une femme souffre de quelque mal chronique, ou qu’elle n’a pas d’enfants, ou qu’elle est à la longue devenue trop vieille, son mari n’en prendrait pas une seconde. Ce qui a fait le succès des Mormons, c’est justement la suppression de cette monstrueuse monogamie. En accordant à la femme des droits au-dessus de sa nature, on lui a imposé également des devoirs au-dessus de sa nature ; il en découle pour elle une source de malheurs. Ces exigences de classe et de fortune sont en effet d’un si grand poids que l’homme qui se marie commet une imprudence s’il ne fait pas un mariage brillant ; s’il souhaite rencontrer une femme qui lui plaise parfaitement, il la cherchera en dehors du mariage, et se contentera d’assurer le sort de sa maîtresse et celui de ses enfants. S’il peut le faire d’une façon juste, raisonnable,