Page:Schopenhauer - Pensées et Fragments, 1900, trad. Bourdeau.djvu/147

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suffisante et que la femme cède, sans exiger rigoureusement les droits exagérés que le mariage seul lui accorde, elle perd alors l’honneur, parce que le mariage est la base de la société civile, et elle se prépare une triste vie, car il est dans la nature de l’homme de se préoccuper outre mesure de l’opinion des autres. Si, au contraire, la femme résiste, elle court risque d’épouser un mari qui lui déplaise ou de sécher sur place en restant vieille fille ; car elle a peu d’années pour se décider. C’est à ce point de vue de la monogamie qu’il est bon de lire le profond et savant traité de Thomasius « De concubinatu ». On y voit que chez tous les peuples civilisés de tous les temps, jusqu’à la Réforme, le concubinat a été une institution admise, jusqu’à un certain point légalement reconnue et nullement déshonorante. C’est la réforme luthérienne qui l’a fait descendre de son rang, parce qu’elle y trouvait une justification du mariage des prêtres, et l’église catholique n’a pu rester en arrière.

Il est inutile de disputer sur la polygamie, puisqu’en fait elle existe partout et qu’il ne s’agit que de l’organiser. Où trouve-t-on de véritables monogames ? Tous, du moins pendant un temps, et la plupart presque toujours, nous vivons dans la polygamie. Si tout homme a besoin de plusieurs femmes, il est tout à fait juste qu’il soit libre, et même qu’il soit obligé de se charger de plusieurs femmes ; celles-ci seront par là même ramenées à leur vrai rôle, qui est celui d’un être subordonné, et l’on verra disparaître de ce monde la dame, ce monstrum de la civilisation européenne et de la bêtise germano-chrétienne, avec ses ridicules prétentions au