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Page:Schopenhauer - Philosophie et philosophes (éd. Alcan), 1907.djvu/103

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doué au-delà de la mesure ordinaire ; si le destin favorable a permis son développement, si ses aeuvres ont enfin vaincu la résistance du monde indifférent » et.()nt reconnues et recommandées comme des modèles, peu de temps se passe sans que les gens n’accourent en traînant un bloc de terre du même acabit qu’eux-mêmes, pour le placer sur l’autel à côté de lui. C’est précisément parce qu’ils ne comprennent ni ne soupçonnent combien la nature est aristocratique. Elle l’est tellement que, parmi trois cents millions de ses produits, il n’y a pas un seul esprit vraiment grand. Il faut donc connaître celui-ci à fond, considérer ses œuvres comme une sorte de révélation, les lire infatigablement et les user diurna nocturnaque manu, et laisser tous les cerveaux ordinaires pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire une chose aussi commune et banale que les mouches sur un mur.

En philosophie, le procédé indiqué plus haut s’est affirmé de la façon la plus désespérante : à côté de Kant, on ne manque jamais de mentionner Fichte, comme étant son égal. « Kant et Fichte », c’est là une phrase devenue courante. « Voyez comme nous prenons le dessus ! » disait ***. On accorde le même honneur à Schelling, et même, pro pudor !, au bousilleur et corrupteur Hegel. La cime de ce Parnasse a toujours été élargie. « Avez-vous des yeux ? Avez-vous desyeux ? » pourrait-on crier à un public de cette trempe, comme Hamlet à son indigne mère. Hélas ! il n’en a pas. Ce sont toujours les mêmes gens qui partout et en tout temps ont laissé s’étioler le véritable mérite, pour porter leur hommage aux pasticheurs et aux maniéristes en tout genre. C’est ainsi qu’ils s’imaginent aussi étudier la philosophie, quand ils lisent à chaque foire les élucubrations de cerveaux émoussés dans lesquels même les