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Page:Schopenhauer - Philosophie et philosophes (éd. Alcan), 1907.djvu/93

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comme le coup d’œil le plus impartial qui ait jamais été jeté sur le monde, et comme le plus haut degré d’objectivité. On éprouve, à la suivre dans ses conséquences, une jouissance intellectuelle qui n’a peut-être pas d’analogue. Elle est en effet d’un ordre plus élevé que celle que font goûter les poètes, accessibles à tous, tandis que sa condition préalable, à elle, c’est la peine et l’effort. Mais que savent d’elle nos philosophes professionnels d’aujourd’hui ? Rien, sans doute. Je lisais récemment une diatribe psychologique de l’un d’eux, dans laquelle il est beaucoup question de l’ « aperception synthétique » (sic) de Kant ; car ils n’emploient que trop volontiers les expressions techniques de ce philosophe, quoique, comme ici, seulement à demi happées, et perdant ainsi leur sens. Celui-ci s’imaginait qu’on découvrirait là-dessous une attention pleine d’efforts ! Ces expressions, avec de petites choses semblables, constituent le thème favori de leur philosophie enfantine. En réalité, ces messieurs n’ont ni le temps ni le désir d’étudier Kant ; il leur est aussi indifférent que moimême. Leur goût raffiné réclame de tout autres gens. Ce qu’ont dit le subtil Herbart et le grand Schleiermacher, et surtout « Hegel lui-même », voilà une matière appropriée à leurs méditations. Avant tout, ils voient très volontiers tomber dans l’oubli Kant, « ce destructeur universel », et ils se hâtent de faire de lui une apparition historique défunte, un cadavre, une momie, qu’ils peuvent ensuite contempler sans crainte. Il a mis fin, de la plus sérieuse façon, au théisme juif en philosophie, chose qu’ils étouffent, dissimulent et ignorent volontiers ; car ils ne peuvent pas vivre sans lui, je veux dire qu’ils ne peuvent ni manger ni boire.