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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/101

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Le christianisme a ce désavantage particulier de n’être pas, comme les autres religions, une pure doctrine ; son caractère essentiel et principal est d’être une histoire, une série d’événements, une collection de faits, d’actions et de souffrances d’êtres individuels ; et c’est cette histoire qui constitue le dogme, auquel il faut croire pour être sauvé. D’autres religions, le bouddhisme notamment, ont bien aussi un accessoire historique : la vie de leur fondateur. Mais celle-ci n’est pas partie intégrante du dogme même, elle le côtoie simplement. La Lalitavistara, par exemple, peut être comparée à l’Évangile, en ce qu’elle contient la vie de Çakya Mouni, le Bouddha de la présente période de l’histoire du monde : mais ceci reste une chose tout à fait séparée et différente du dogme, par conséquent du bouddhisme. Une des raisons en est que l’existence des anciens Bouddhas était tout autre, et que l’existence des futurs Bouddhas sera également tout autre que celle du Bouddha actuel. Le dogme, ici, n’est nullement lié à la vie du fondateur, et ne repose pas sur des personnes et des faits individuels ; il est quelque chose d’universel, également valable en tout temps. La Lalitavistara n’est donc pas un Évangile dans le sens chrétien du mot, le joyeux message d’un acte de rédemption ; elle raconte la carrière de celui qui a montré comment chacun peut se rédimer soi-même. C’est par suite du caractère historique du christianisme, que les Chinois se moquent des missionnaires comme de conteurs de fables.

Un autre défaut fondamental du christianisme, que je signalerai à cette occasion, défaut qu’on ne peut s’expliquer et dont les conséquences déplorables se manifestent chaque jour, c’est qu’il a violemment séparé,