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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/100

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Mais vraiment, si un honorable Asiatique me demandait ce qu’est l’Europe, je devrais lui répondre : « C’est la partie de la terre complètement et follement imbue de cette sotte idée, que la naissance de l’homme est le commencement absolu de celui-ci, et qu’il est sorti de rien ».

Tout au fond et indépendamment des deux mythologies, le sansara et le nirvana de Bouddha sont identiques aux deux civitates d’Augustin, qui constituent le monde, la civitas terrena et la civitas cœlestis, comme il les représente dans son livre de la Cité de Dieu (particulièrement livre XIV, chap. iv ; livre XV, chap. i et xxx ; livre XVIII, à la fin ; livre XXI, chap. i).

Le diable est, dans le christianisme, une personne des plus nécessaires, en ce qu’il fait contrepoids à la toute-bonté, toute-sagesse et toute-puissance de Dieu. On ne pourrait s’expliquer, avec celles-ci, d’où viennent les maux prédominants et infinis de l’univers, si le diable n’était pas là pour les endosser à son compte. Aussi, depuis que les rationalistes ont supprimé le diable, le désavantage résultant de l’autre partie est-il devenu de plus en plus sensible ; cela était à prévoir, et avait été prévu par les orthodoxes. On ne peut retirer un pilier d’une construction, sans mettre l’ensemble en danger. Ceci confirme ce qui a été établi ailleurs, que Jéhovah est une transformation d’Ormazd[1] et Satan une transformation d’Ahriman, l’inséparable compagnon d’Ormazd ; et ce dernier même est une transformation d’Indra.

  1. On dit ordinairement « Ormuzd », et, en écrivant « Ormazd », nous nous conformons à la prononciation adoptée par le savant et regretté orientaliste James Darmesteter dans son livre sur Ormazd et Ahriman (1876). (Le trad.)