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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/123

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la nature s’infligerait à elle-même. (Les Évangiles, qui ont voulu étayer leur véracité par des récits de miracles, l’ont ainsi tout simplement ruinée.) Cependant ce n’est qu’à l’aide de suppositions analogues, que nous pouvons nous expliquer en une certaine mesure comment Paul, dont les lettres principales doivent pourtant être authentiques, ose représenter sérieusement comme Dieu incarné, et ne faisant qu’un avec le Créateur, un mort de date encore si récente, tandis que beaucoup de ses contemporains continuaient à vivre. Il faut en effet de longs siècles pour que des apothéoses de ce genre et de cette proportion puissent mûrir peu à peu. D’autre part, on serait en droit de tirer de cela un argument contre l’authenticité des épîtres de Paul.

Nos Évangiles, d’ailleurs, doivent s’appuyer sur un original ou tout au moins sur un fragment de l’époque et de l’entourage de Jésus même. Je conclus cela de la prophétie si choquante de la fin du monde et du retour glorieux du Seigneur dans les nuages, qui devait avoir lieu du vivant même de quelques témoins de la promesse. Mais ces promesses restèrent inaccomplies, et c’est une circonstance très fâcheuse. Elle ne fut pas seulement nuisible dans les temps postérieurs, mais apprêta à Paul et à Pierre eux-mêmes des difficultés dont on peut lire le détail dans le livre très intéressant de Reimarus[1], Du but de Jésus et de ses disciples,

  1. Helléniste et orientaliste, né à Hambourg en 1694, y enseigna la philosophie pendant quarante et un ans, jusqu’à sa mort, en 1768. Lessing publia en 1774 et 1777, sous le titre de Fragments d’un inconnu, six traités inédits de ce savant, dont le dernier est celui cité par Schopenhauer. Reimarus y distingue deux formes du christianisme primitif : l’une attribuée au fondateur, et l’autre aux apôtres, qui auraient, d’après lui, approprié la pensée du maître aux exigences de la propagande. C’était là sim-