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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/131

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et leur réunion forme un étrange centaure. Le premier est optimiste, le second pessimiste. Celui-là remonte, la chose est prouvée, à la doctrine d’Ormazd. Celui-ci, d’après son esprit, est apparenté au brahmanisme et au bouddhisme, et, au point de vue historique, on peut vraisemblablement le faire dériver d’eux. Le premier est une musique sur le mode majeur, le second sur le mode mineur. Seule l’histoire de la chute forme dans l’Ancien Testament une exception. Elle y reste d’ailleurs inutilisée, comme un « hors-d’œuvre », jusqu’à ce que le christianisme la reprenne comme le seul trait d’union qui lui convienne.

Mais ce caractère fondamental du christianisme, qu’Augustin, Luther et Mélanchthon ont très justement saisi et systématisé de leur mieux, nos rationalistes actuels, marchant sur les traces de Pélage, ont cherché à l’effacer et à le rejeter par l’exégèse, pour ramener le christianisme à un judaïsme optimiste sec et égoïste. Ils ont ajouté à celui-ci une meilleure morale et une vie future, comme les exige l’optimisme conséquent avec lui-même, afin que la joie de vivre ne tarisse pas si vite, et que la mort, qui crie trop haut contre la doctrine optimiste et qui finit par apparaître au gai Don Juan comme la statue du commandeur, soit traitée ainsi qu’elle le mérite. Ces rationalistes sont de braves gens, mais de pauvres esprits, qui n’ont aucune idée du sens profond renfermé dans le mythe du Nouveau Testament, et qui sont incapables de s’élever au-dessus de l’optimisme juif, qui leur est accessible et répond à leurs besoins. Ils veulent la vérité nue et sèche en histoire comme dans le dogme. On peut comparer celle-ci à l’évhémérisme de l’antiquité. Sans doute, ce que les