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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/146

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ciel, qu’il serait trop malaisé de mériter par soi-même. Les prêtres sont les entremetteurs de cette mendicité.

Celui qui cherche la récompense de ses actions soit dans ce monde, soit dans un monde futur, est un égoïste. Qu’il perde la première par suite du hasard qui gouverne ce monde, ou la seconde par suite de l’inanité de l’illusion qui lui créait le monde futur, cela revient au même. Ce n’est dans les deux cas qu’un motif qui pourrait le guérir de l’ambition de poursuivre des buts.

Mais si un homme vise une fois des buts d’égoïsme, je l’estimerai plus s’il agit à la façon de Machiavel et cherche à réaliser ses fins par l’habileté et la connaissance des causes et des motifs d’où sortent des effets, que s’il distribue beaucoup d’aumônes avec le ferme espoir de recouvrer un jour le tout au décuple et de ressusciter archimillionnaire dans l’autre monde. (Il n’y a d’autre différence entre les deux que celle de l’habileté.) Et si je me réjouis du soulagement qu’un malheureux éprouve grâce à cet homme, ma joie sera absolument la même, si, par hasard, un trésor mis à jour vient en aide à ce malheureux.

Il ne faut pas perdre de vue, toutefois, que beaucoup donnent par pur amour — c’est la compassion — et par pure bonne volonté. Mais quand ils veulent rendre compte de cet acte à leur propre raison, leur manque de connaissance et de vraie philosophie fait qu’ils endorment celle-ci à l’aide de toutes sortes de dogmes. Cela est d’ailleurs fort indifférent, et n’enlève à leur acte ni sa vraie signification, ni sa valeur.